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  • Méditation sur l’évangile du 5ème dimanche de carême.

    Avec Lazarre, nous sommes devant une question vraiment existentielle. Dans ce contexte si particulier que nous vivons, est-ce que la foi nous fait vivre ? Est-ce que la foi nous rend plus vivants, plus libres, plus enthousiastes ? Voyez cet homme ! Il s’appelle Lazarre, nom qui pourrait signifier « Dieu l’aide. » L’évangéliste nous précise que le Seigneur l’aimait, mais il est malade, et il meurt.

    Le Seigneur n’est pas là, près de lui, et il tombe dans le sommeil de la mort. La question est importante pour nous. Certes, nous sommes croyants ; certes, nous affirmons que Jésus est l’eau vive, qu’il est la lumière ; certes, nous ajoutons qu’il ressuscite. Mais justement, il ne restera pas sur terre, il montera au ciel comme nous le disons dans le credo.

    Qu’allons-nous devenir ? Allons-nous persévérer dans la foi ? Ou bien est-ce que nous allons nous endormir ? Nous laisser envahir par les difficultés actuelles, l’engourdissement spirituel qui fera que nous serons peut-être reconnus comme amis du Seigneur, mais nous serons inertes, comme morts, incapables d’être sœur ou frère de celui qui nous a appelés à vivre en enfants de lumière.

    Que de passages à vivre encore ? Prenons l’exemple de Thomas l’apôtre. Il semble un homme courageux, puisqu’il essaie d’entraîner les autres, mais pour quel projet ? « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui. » Ce qu’il envisage, c’est la mort, ce n’est pas la pâque, ce n’est pas la vie éternelle. Est-il vraiment entré dans la foi ? Bien sûr, c’est un apôtre, mais que croit-il ?

    On le retrouvera plus loin dans l’évangile quand Jésus parlera d’aller vers le Père et il dira : « nous ne savons même pas où tu vas. » C’est un proche de Jésus, un ami, mais est-il vraiment entré dans le mystère ? On le retrouvera encore à la fin de l’évangile, dans un épisode qui sera lu le 2ème dimanche de Pâques, huit jours après la fête de la résurrection : il prendra conscience de ses doutes et il dira sa foi avec ces magnifiques paroles : « Mon Seigneur et mon Dieu. »

    Comme si on pouvait être apôtre, engagé, mais ne vraiment entrer dans la foi que plus tard, même après la vie nouvelle de la fête pascale.

    Que de passages à vivre ! Prenons encore pour exemple Marthe et Marie. Elles sont comme les figures des premières communautés chrétiennes confrontées au problème de la mort. Elles sont le visage des premiers chrétiens qui croient à la résurrection du Christ et qui voient leurs frères mourir les uns après les autres.

    Marthe d’abord qui quitte la maison dès l’annonce de l’arrivée de Jésus, et qui ainsi enfreint les règles de l’hospitalité. Elle aurait dû attendre pour verser l’eau sur les pieds du visiteur. Elle représente les communautés chrétiennes qui quittent les rites anciens, qui doivent quitter leur vision de la mort pour mettre leur confiance en Jésus, elle devient celle qui exprime la foi : "Tu es le Messie, je le crois !"

    Marie ensuite, assise et en deuil. Elle est figure de l’église qui pleure avec les hommes, qui souffre avec eux, elle annonce la compassion et la pitié même du Seigneur qui devant ses sanglots est lui aussi pris d’émotion profonde. Mais, elle nous invite avec elle au geste de foi qui atteste que Jésus s’est levé d’entre les morts, car dès qu’elle entend l’appel du maître, elle se lève, c’est le même mot qui sera dit pour affirmer que Jésus s’est levé d’entre les morts. Elle invite les chrétiens au dépassement, elle a la force de se mettre debout, l’énergie de ne pas rester recroquevillée sur son malheur et sa tristesse. C’est elle qui pourvoira à l’avance à l’ensevelissement de Jésus. Elle aura compris que la mort de l’homme n’est pas un point final, mais un sommeil qui traverse une nuit pour aller vers un nouveau jour.

    C’est que le Seigneur n’est pas étranger à l’expérience de Lazare, puisque lui-même s’endormira dans la mort pour répondre à l’appel que les premiers chrétiens proclamaient dans leur liturgie : "Éveille-toi, ô toi qui dors !" Devant le tombeau de Lazare en effet, comme au mont des oliviers, Jésus éprouve un ébranlement intérieur. Il s’identifie déjà à celui qui s’est cru abandonné et oublié de Dieu, à celui qui doit vivre l’ultime passage, à celui qui doit simplement s’appuyer sur la foi.

    Enfin s’éclaire l’œuvre de Dieu : le secours du Seigneur, c’est qu’il appelle à la vie, il est vivant et il appelle à la vie. Même dans la pire des situations, il appelle à la vie. Et la vie ne vient pas du Temple, mais du Père, car ce n’est pas vers le Temple que Jésus tourne les yeux comme font les Juifs, mais vers le ciel.

    Lazare sort dehors. Je pense qu’on peut l’entendre de manière symbolique. Il ne sort pas du confinement que tous nous devons respecter. Dans le confinement, il sort de l’inertie, il sort de l’endormissement : il est comme quelqu’un qui renaît, il devient un disciple qui entend l’appel à la vie et qui nous conduit des ténèbres à la lumière. Mais il n’est pas encore l’homme complètement délivré puisqu’il faut le délier. C’est que l’homme ici-bas qui est déjà sauvé reste confronté au pouvoir du mal et de mort, à tout ce qui l’enchaîne et l’empêche de vivre. C’est que le disciple a besoin de ses frères pour défaire les chaînes qui entravent sa liberté.

    C’est dans ce mouvement où l’homme, comme Lazare, répond à l’appel qui lui demande de vivre vraiment comme un vivant, où l’Église, comme Marthe, quitter le vieil homme comme dit St Paul, où l’Église se lève comme Marie pour entraîner l’humanité tout entière à vivre debout, c’est dans ce mouvement que s’annonce la foi.

    P. Bernard Châtaignier