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  • Lire le Notre Père avec Alain

    Résumé de l’enseignement du 4 octobre 2017.

    Lire le Notre Père

    Le style télégraphique qui sert de trame à l’exposé oral a été conservé.

    Il est actuellement question d’une nouvelle traduction du Notre Père, car celle que nous possédons pose problème, en particulier le « ne nous soumets pas à la tentation ».

    Sous des formules apparemment simples, parce que nous y sommes habitués, se cachent de réelles difficultés de compréhension, si on prend au sérieux ce que nous dit le Seigneur.
    Qu’est-ce qui donne compétence à Jésus pour enseigner à ses disciples ? Les juifs ne savent-ils pas prier ? N’y a-t-il pas de belles prières dans l’Ancien Testament, en particulier dans les psaumes ? La prière d’Israël est multiple. Pourquoi Jésus ne nous donne-t-il qu’une seule formule, et encore est-elle simple ?
    S’agit-il d’un vœu ou d’un ordre donné à Dieu ? Qui peut sanctifier le nom de Dieu ? qui peut faire advenir le règne de Dieu ? Qui peut réaliser la volonté divine ? De quel type de capacité ou d’autorité cela relève-t-il ?
    Pourquoi une formule de prière s’il ne faut pas répéter ? Pourquoi dire nos besoins si Dieu les connaît déjà ? Dieu pardonne-t-il selon notre manière de pardonner, sommes-nous le modèle de pardon pour lui ? Dieu est-il responsable de la tentation ?

    Les trois piliers de la piété juive, repris par le christianisme et l’Islam et qui constituent la « justice », sont :
    - l’aumône, qui est relation aux autres ;
    - la prière, qui est relation à Dieu ;
    - le jeûne, qui est relation à soi et qui permet de se tourner vers les autres et vers Dieu.
    Ainsi la « justice » se traduit par des actions concrètes, elle n’est pas uniquement parole.

    Ce qui frappe dans la prière enseignée par Jésus c’est d’une part sa brièveté et d’autre part sa simplicité apparente. Et pourtant nous avertit Tertullien dans son traité de La prière : « Cette prière, en vérité, c’est un abrégé de tout l’Évangile qui est contenu ».
    Je m’appuierai sur la traduction littérale de sœur Jeanne d’Arc.

    Plan du Notre Père
    Deux séries de demandes :
    - celles qui concernent Dieu et son règne,
    - celles qui concernent la vie concrète de l’homme.

    Notre-Père !
    « Abba », Papa. Terme affectueux utilisé par Jésus pour dire sa relation privilégiée à Dieu. Ce terme est utilisé par les petits enfants : « Papa ! »
    Beaucoup de traductions de la Bible désignent le Notre-Père, comme prière dominicale ou prière du Seigneur. Il y a cependant de quoi s’étonner puisqu’ il y a ambiguïté dans cette formule :
    - il ne s’agit pas de la prière qu’adresse Jésus à son Père et qui reste la plupart du temps mystérieuse pour nous, sauf au moment de son agonie et de sa mort,
    - mais de l’enseignement que Jésus nous donne à propos de la prière. Non seulement Jésus nous dit comment il faut prier mais encore il nous dit ce qu’il faut prier.
    - C’est son expérience de la prière qui lui donne autorité pour enseigner à ses disciples comment prier.

    Notre-Père dans les cieux,
    Les trois adresses à Dieu marquent une forme de superlatif (sanctification du nom de Dieu, règne divin, volonté divine), un appel poussé à son extrême.
    Il y a là un paradoxe puisque nous osons appeler Dieu notre Père alors même que les cieux marquent la distance qui nous sépare de lui. Ces invocations renvoient à une existence et à une présence celle de Dieu à qui on s’adresse. En ce sens on ne parle pas à une idole ! Certes il y a une distance puisque le père dont il s’agit n’est pas notre père terrestre, mais celui du ciel.
    Le « nôtre » désigne une communauté de croyants, ou plutôt, potentiellement, tous les hommes. Dieu n’est pas mon père, mais il est notre père, c’est-à-dire le père de tous les hommes. Même celui qui n’a pas la foi a pour Père Dieu qui l’enveloppe de son amour.
    Voir « Votre père, celui aux cieux » : 5,16. 45 ; 6,1.9 ; 7,11 ; 18,14.
    Désigner Dieu comme père c’est, du même coup, nous considérer comme ses enfants, et en même temps comme frères puisque issus d’un même père.
    C’est Jésus qui nous a appris cela.
    Les « cieux » désignent symboliquement la demeure de Dieu ou Dieu lui-même. Dieu n’est pas de même nature que la création. Il est le « Tout autre » ! Mt utilise souvent l’expression « les cieux » pour désigner Dieu dans sa transcendance. Ainsi le début du Notre Père marque à la fois la proximité de Dieu et sa transcendance. L’expression dans les cieux marque bien que l’homme ne peut mettre la main sur Dieu. C’est Dieu lui-même qui se révèle comme père et non l’homme qui le découvre par lui-même.
    Adresse au singulier. Il n’y a pas là de pluriel de majesté comme dans les premiers versets de la Bible. Le pluriel employé est ici un collectif (notre père).
    L’appel à Dieu n’est pas adressé au Seigneur mais à celui qui est proche de nous et qui nous est un père. Plus de distance mais une proximité.
    Pas information mais invocation. On ne parle pas de Dieu mais on parle à Dieu. On n’est pas dans l’abstraction métaphysique mais dans la relation concrète avec le Dieu vivant.
    Trois demandes sont ici formulées. Elles marquent l’intensité. Mais signifient-elles la même chose sous des éclairages différents ?

    Sanctifié soit ton nom !
    Le nom n’est pour nous qu’un mode de désignation de l’individu. Il sert à identifier. Mais le nom dit aussi la personne. C’est la raison pour laquelle Dieu donne souvent lui-même un nom a une personne (Mt 1,22). Mais ici cette désignation de Dieu nous dit ce qu’il est en profondeur.
    Le texte de la Traduction œcuménique de la Bible est intéressant car il donne le sens, bien qu’il soit paraphrase du texte. Il traduit « fais connaître à tous qui tu es ».
    Le nom de Dieu c’est Amour (voir 1° lettre de saint jean, 4, 7-12). Lorsqu’on parle de l’amour il ne s’agit pas ici de sentimentalité, mais de l’attitude qui fait grandir, qui met debout. Ce que nous pouvons faire c’est reconnaître la sainteté de Dieu.
    Dieu étant le saint par excellence on ne peut rien rajouter à la sainteté de son nom. Le seul ajout consiste en la reconnaissance de la sainteté de son nom.

    Vienne ton règne !
    Le terme grec (basileia) désigne à la fois le pouvoir de celui qui règne et l’étendue géographique de ce pouvoir (le royaume). Il importe que le royaume de Dieu s’étende à tout l’univers car il est un règne de paix, ce dont le monde a toujours eu besoin.
    C’est en Jésus que le règne de Dieu s’est approché des hommes (Mt 3,2). Mais ce n’est qu’à la fin des temps qu’il sera véritablement accompli.

    Ta volonté soit faite.
    Dieu a-t-il besoin de nous dans la réalisation de ces souhaits ? Peut-être bien. Nous sommes des êtres libres et Dieu nous a voulus comme tels. Dans cette mesure nous participons aussi à son règne. La volonté de Dieu est déjà réalisée aux cieux. Il faut maintenant qu’elle se réalise sur la terre des hommes. Nous avons un rôle à jouer pour cela.
    La volonté de Dieu n’est pas caprice ni arbitraire. Il s’agit de faire advenir le royaume de justice. Nulle fatalité dans cela.
    Les trois premières demandes ont Dieu pour centre d’intérêt. Ce qui importe c’est Dieu et sa justice ; le reste nous sera donné par surcroît.

    Comme au ciel, sur terre aussi !
    Cette demande est mise en facteur commun aux trois premières demandes. On remarque en effet qu’elles sont juxtaposées et non reliées les unes aux autres comme le sont les demande suivantes, reliées par « et », non traduit et c’est dommage. Ciel et terre représentent la totalité (cf Gn 1,1) de ce qui est, totalité de la création. La « terre » désigne aussi l’intimité de la personne. « Que ton nom soit sanctifié en moi, que ton règne ad-vienne en moi, que ta volonté soit faite en moi... »

    Suivent trois demandes qui concernent la vie concrète. Il s’agit de la vie humaine.
    Le Notre-Père est exclusivement une prière de demande : « Celui qui prie le Notre-Père découvre qu’il ne vit pas seulement de ce qu’il produit et que son sort ne dépend pas d’abord de ce qu’il fait. Il est fondamentalement un être qui demande et qui reçoit. Son destin dépend de celui qui donne : Dieu. »
    On peut remarquer que les demandes concernant Dieu sont au passif, alors que les de-mandes concernant l’homme sont directement adressées à Dieu, presque nommément.
    Pourquoi demander à Dieu de satisfaire nos besoins les plus fondamentaux alors même qu’il le connaît avant même que nous les formulions ? Dans le texte grec, le dernier terme de la première partie du Notre Père est le mot « terre ». Il marque la transition entre le ciel et la terre. Pourquoi une telle formule ? Dieu ne connaît-il pas déjà nos besoins avant même que nous les formulions ?
    - parce que c’est la reconnaissance de notre dépendance. L’homme n’est pas auto-suffisant.
    - ces demandes ne sont pas individuelles mais communautaires.
    Les trois demandes suivantes (ou quatre) sont formulées aussi au pluriel. Elles sont de-mandes d’une communauté. Nous ne demandons pas pour nous-mêmes individuellement mais pour nous tous frères les uns des autres.

    Notre pain de la journée, donne-nous aujourd’hui.
    Il est vrai que l’homme travaille la terre. Cela se comprend d’autant dans un monde où la majorité est paysanne, moins facile à comprendre à notre époque d’importation massive de denrées alimentaires. Il n’en reste pas moins que c’est Dieu qui fait pousser le grain.
    S’agit-il du pain de tous les jours, du pain pour aujourd’hui simplement (demain nous referons la demande), ou du pain essentiel, nécessaire à l’existence ? Les trois significations sont acceptables.

    Remets-nous nos dettes comme nous aussi avons remis à nos débiteurs.
    De manière concrète Mt utilise le mot « dette », là où Luc parle de « péchés ». Les dettes envers Dieu ne peuvent être que le péché, mais Mt leur donne un sens concret, comme il parle de débiteurs, de ceux qui ont des dettes matérielles. Celui qui a des dettes envers nous, nous doit quelque chose. Quelle dette avons-nous envers Dieu ? Celle de la reconnaissance, de l’adoration, de l’obéissance à sa volonté. Celui qui ne reconnaît pas cette dette pèche contre Dieu. Il est juste de payer ses dettes ; il est juste de la part du créancier d’exiger le paiement de la dette. Le vocabulaire concret de Mt permet de mieux percevoir le sens de pardonner. D’après son étymologie le verbe pardonner signifie un dépassement du don. Dans « par-donner » par marque l’intensivité. Pardonner c’est plus que donner.
    Il y aurait un contresens à penser que Dieu remet les dettes en fonction de nos propres actions. Nous ne sommes pas les modèles de Dieu. C’est de lui que vient le pardon. Par-donnez à l’autre c’est prendre conscience que nous aussi nous avons été pardonnés.
    Le pardon que Dieu accorde est toujours premier et sans retour. Il faut replacer cette de-mande dans le contexte de la prière. En effet comment demander à Dieu de nous pardonner si nous ne sommes pas en mesure de le faire nous-mêmes ? Comment demander qu’on nous pardonne si nous n’avons pas l’intention ferme et droite de pardonner ?

    Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, mais libère-nous du Mauvais.
    L’épreuve est là pour « éprouver » la foi, la confiance, non pour faire tomber. La foi n’est pas chose facile. Si Dieu permet l’épreuve, il nous donne aussi la force de nous en tirer. L’épreuve vient de l’attirance pour le mal, de ce qui est moralement répréhensible, de la « beauté du Diable », le Trompeur par excellence. Le Malin c’est celui qui veut le mal, mais qui est séduisant ! L’épreuve dans laquelle nous pourrions tomber et de celles qui nous feraient perdre la foi. Ainsi, la souffrance des enfants n’est-elle pas d’une certaine façon la tentation suprême ?
    Le disciple livré à lui-même n’est pas de taille à affronter le mal, le Malin. Il lui reste la prière confiante au Père.

    La Didachê, un des premiers écrits chrétiens (fin du premier siècle et début du second) nous indique l’usage liturgique du Notre Père, dans l’Église première, qui reprend le texte de Mt et sa fréquence : « Priez ainsi trois fois par jour. »

    Ainsi du Notre-Père on a pu dire qu’il « centre les disciples sur l’essentiel. Il est une prière de foi et d’espérance en l’avènement de la plénitude du règne. Dieu sera alors reconnu comme père dans une humanité accordée à son dessein bienveillant ».

    Alain Lorieux

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