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  • Lettre ouverte aux femmes de la Bible

    (les femmes dans la généalogie de Jésus – Mt 1, 1-17)

    Drôle d’idée d’écrire une lettre commune, à vous que le récit biblique place à des époques bien différentes ! Pour les chrétiens, ce qui vous rapproche, c’est d’être les seules femmes de l’Ancien Testament mentionnées dans la généalogie de Jésus selon Matthieu (Mt1, 1-16). Luc ne parle pas de vous (Lc 3, 23-38). Marc et Jean ne donnent pas de généalogie de Jésus. Je ne veux pas escamoter vos histoires. Aussi, dans une première lettre, je m’adresserai à vous, Tamar et Rahab. Puis je consacrerai une lettre entière à toi, Ruth, l’étrangère, la Moabite. Enfin je t’écrirai à toi, Bethsabée, et je profiterai de l’occasion pour m’adresser aussi à d’autres femmes de David, en particulier à Mikal, la fille de Saül, et Avigaïl, l’ancienne femme de ce vieux fou de Naval. Ce sera l’occasion de reparler de David, mais de votre point de vue.

    Ma chère Tamar,

    Ton histoire (Gn 38) est vraiment scabreuse, du moins à première vue ! Juda, fils de Jacob, a trois fils. Tu épouses le premier, Er, qui meurt sans te donner d’enfant. Suivant la coutume, le deuxième t’est donné comme mari, pour qu’il suscite une descendance à son aîné. On appelle cela la loi du lévirat. Les Sadducéens s’en serviront pour essayer de piéger Jésus à propos de la résurrection (Mc 12, 18-27). Ce deuxième fils, Onân, y met beaucoup de mauvaise volonté et, comme son frère aîné, il meurt sans te donner d’enfant. Le plus jeune, Shéla, n’est qu’un gamin. Lui aussi devrait t’être donné comme mari, mais ton beau-père prend prétexte de son jeune âge pour t’inviter à retourner chez ta mère, ce que tu fais. En réalité, il a peur que son troisième fils meure comme ses frères. Quand le garçon est devenu un homme, rien ne se passe.

    Comment tu trompes Juda

    Alors tu concoctes un stratagème vraiment « diabolique ». Tu apprends que Juda doit venir dans la région. Tu quittes tes vêtements de deuil, tu te déguises en prostituée (à l’époque, elles étaient voilées ! Les temps ont bien changé…), tu te postes sur le chemin par lequel Juda doit passer. Tout se passe comme tu as prévu ; il couche avec toi, promet de te faire envoyer un chevreau, mais tu prends soin de lui demander en gage son sceau, son cordon et son bâton. Tu retournes chez toi, tu reprends tes vêtements de deuil et, naturellement, l’envoyé de Juda portant le chevreau ne retrouve pas la prostituée qui se tenait sur le chemin. Consigne de silence de Juda, pour ne pas tomber dans le ridicule !
    Une tromperie en faveur de la vérité

    Mais te voilà enceinte ! Juda l’apprend et décide de te faire mourir pour adultère. Alors qu’on t’emmène au supplice, tu envoies dire à ton beau-père : « C’est de l’homme à qui ceci appartient que je suis enceinte. » Juda reconnaît les objets et dit : « Elle a été plus juste que moi, car je ne l’avais pas donnée à mon plus jeune fils. » De cette union tu enfanteras deux jumeaux, dont l’un, Pharès, sera l’ancêtre de Jésus.

    A première vue, la morale ne trouve pas son compte dans cette sombre histoire. Cependant, tu as permis à ton beau-père de faire la vérité en lui. Cela lui servira vis à vis de Joseph devant qui il saura trouver des mots de vérité pour l’émouvoir et l’inciter à se faire reconnaître de ses frères (Gn 44, 14-34).

    Ma chère Rahab,

    On parle peu de toi dans la Bible ( Livre de Josué, ch 2 et aussi dans la lettre aux Hébreux 11, 31 et celle de Jacques 2, 25 ) et pourtant, dans le récit, ton action est déterminante pour l’entrée des Hébreux dans le pays de Canaan. Josué, de l’autre côté du Jourdain, a envoyé deux éclaireurs pour explorer ce pays. Tu exerces, comme on dit, « le plus vieux métier du monde ». Pour passer inaperçu, rien de mieux que d’aller chez une prostituée. Ils viennent donc se cacher chez toi.

    Tu sauves les éclaireurs

    Le roi de la ville a vent de l’affaire. Il t’ordonne de livrer les deux hommes. Tu as beau être une prostituée, tu as ton honneur : on ne trahit pas les clients. Tu les caches rapidement et tu donnes une fausse piste aux enquêteurs, vers le Jourdain. A la tombée de la nuit, tu vas trouver les espions dans leur cachette, tu les fais descendre par une corde le long du rempart (Un certain Paul s’échappera de Damas de la même façon ! [Actes 9, 25 – 2 Co 11, 33]), tu les envoies dans la montagne, à l’opposé, et tu leur conseilles d’y rester trois jours, le temps que l’alerte soit passée.

    Prévoyante et rusée !

    Mais, auparavant, tu leur fais promettre que ta famille et tous tes proches ne seront pas massacrés quand arriveront les Hébreux. Les éclaireurs s’y engagent par serment. Et c’est ce qui va se passer : comme convenu, pour que les envahisseurs reconnaissent ta maison, tu accroches un fil écarlate à la fenêtre et tout ton petit monde aura la vie sauve, en reconnaissance de tes bons et loyaux services.

    Pourquoi cette trahison de ton peuple ?

    Pourquoi as-tu agi ainsi, en semblant trahir ton peuple ? Le livre de Josué, qui raconte ton histoire, présente l’installation des enfants d’Israël dans le pays que le Seigneur lui a donné. Tu as compris qu’il ne faut pas résister à la volonté de Dieu, car, dis-tu aux deux éclaireurs, « le Seigneur, votre Dieu, est Dieu la-haut dans les cieux, et ici-bas sur la terre. » Tu montres ainsi que tu es digne de faire partie du peuple de Dieu.


    Note pour une meilleure compréhension de la Bible

    Certains lecteurs peuvent être surpris de trouver dans la Bible des histoires aussi peu conformes à la morale. Qu’ils se rassurent : de nombreux textes ont une autre tonalité. Tenant compte de la mentalité du temps, des textes législatifs régissent de près les relations entre les hommes, et pas seulement ce qui concerne la morale sexuelle. On ferait bien d’y revenir en ce qui concerne la protection des petits et des plus démunis. Rappelons-nous ce que dit l’Exode à propos des émigrés (Ex 22, 20) : « Tu n’exploiteras ni maltraiteras l’émigré, car vous avez été émigrés au pays d’Egypte ».

    Par contre, avec l’histoire de Tamar et de Rahab et bientôt avec Ruth et Bethsabée, nous sommes dans des récits, pour ainsi dire des tranches de vie où l’humanité se présente telle qu’elle est, avec ses ombres et ses lumières, et non une humanité idéalisée. Et c’est au cœur de cette humanité que Dieu trace son chemin, en la respectant. Sans cesse, Dieu dit au peuple d’Israël : « Je ne t’ai pas choisi parce que tu serais le meilleur, mais parce que je t’aime et que je veux te confier une mission pour l’humanité tout entière. Et quelle mission ! Permettre la venue de celui qui sera le Sauveur du monde ! »

    Joseph CHESSERON

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