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  • La Tradition

    Périodiquement, le courant « traditionaliste » dans l’Eglise fait parler de lui. Rappelons ce qu’est la Tradition. Il s’agit de ne pas la confondre avec « les traditions », habitudes humaines qui naissent, grandissent et meurent, qui sont le reflet d’une époque souvent révolue. Pour plus de clarté, nous utiliserons ce mot avec un ‘T’ majuscule. Après avoir défini rapidement ce que l’Eglise entend par Tradition, nous irons à la source et nous verrons, à travers quelques exemples, comment le Nouveau Testament et en particulier les quatre évangiles ont transmis diversement le message de Jésus.

    La Tradition dans l’Eglise

    Le mot Tradition vient d’un terme latin qui veut dire transmettre. Qu’est-ce que vraiment la Tradition pour un chrétien ? Pour le savoir, consultons la constitution ‘Dei Verbum’ du Concile Vatican II (Ch. II, § 9) : « …la Sainte Tradition porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux apôtres, et la transmet intégralement à leurs successeurs pour qu’ils la gardent, l’exposent et la répandent avec fidélité… »

    Dans cette définition, nous voyons que

    - ce qui est à transmettre c’est la Parole de Dieu,

    - c’est le Christ et l’Esprit Saint qui donnent la charge de la transmettre,

    - ce sont les apôtres et leurs successeurs qui reçoivent cette mission.

    La Pentecôte : diversité des langues

    « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? » (Actes 2, 7) Dès le départ, la Parole se diffuse dans la diversité. Tout le Nouveau Testament a été écrit, non dans la langue du Christ, l’araméen que parlaient sans doute les apôtres, mais en grec, la langue commune de l’empire romain, et non le latin. Mais un peu plus tard l’obligation de se faire comprendre de tous a imposé la nécessité de la traduction des textes. Contentons-nous ici de faire allusion aux multiples manuscrits syriaques, coptes, latins, qui témoignent dès les 2ème et 3ème siècles de cette volonté d’être compris de tous. En christianisme, il n’y a pas de langue sacrée, la langue latine pas plus qu’une autre. Seule est sacrée la Parole comprise et célébrée dans toutes les langues humaines. La traduction fait partie intégrante de la Tradition. En Christianisme, la traduction n’est pas une tolérance comme c’est le cas en Islam, mais une nécessité vitale à la mission.

    Une Bonne Nouvelle à quatre voix

    On constate la diversité d’abord dans le fait que la Bonne Nouvelle (c’est le sens du mot Evangile) s’exprime par quatre textes très différents. L’Eglise, dans sa sagesse, n’a jamais fait siennes les tentatives de faire un seul récit des quatre. L’évangile selon Jean, hormis l’épisode de la multiplication des pains et le récit de la Passion, comporte peu de points communs avec les trois autres. Et même si les évangiles selon Matthieu, Marc et Luc sont appelés synoptiques (qu’on pourrait lire d’un même regard), ils ne sont pas superposables. Donnons quelques exemples. Les Béatitudes (Mt 5, 2-12 – Lc 6, 20-26)et la prière du ‘Notre Père’ (Mt 6, 9-13 – Lc 11, 2-4) ne se trouvent que dans Matthieu et Luc et ils sont bien différents dans l’un et l’autre évangéliste. Chacun les présente à sa manière. Les évangélistes ne sont pas des magnétophones et n’ont pas la prétention de reproduire les paroles exactes du Seigneur.

    Les quatre récits de la Passion suivent la même trame, mais comportent des différences. Seul Matthieu parle de l’intervention de la femme de Pilate (27, 19) ; on ne trouve la présence du jeune homme s’enfuyant tout nu que dans Marc (14, 51-52) ; Luc seul parle de la comparution devant Hérode (23, 6-12), du ‘bon larron’ (23, 40-43) et des spectateurs s’en retournant en se frappant la poitrine (23, 48) ; enfin seul Jean rapporte les paroles de Jésus à sa mère et au disciple bien-aimé (19, 25-27).

    Pourquoi avoir pris ces exemples ? Parce qu’ils faisaient partie de la liturgie des premiers temps. Pour le ‘Notre Père’, c’est évident ; pour les récits de Passion, les spécialistes pensent que les premiers chrétiens, se réunissant pour la prière, se remémoraient les derniers instants du Maître et, naturellement, ces récits oraux ont été marqués par la diversité. Dès le départ, la liturgie, véhicule de la Bonne Nouvelle, a été diverse, et elle a continué à l’être au long des siècles.

    Au cœur de la vie de l’Eglise, Les récits du dernier repas de Jésus

    1 Co 11, 23-26 – Mt 26, 26-29 – Mc 14,, 22-25 – Lc 22, 14-20

    Faisons une place spéciale à ce qui est au cœur même de la vie de l’Eglise : le mémorial du Repas du Seigneur. Le texte qui est dit par le célébrant à la messe catholique n’est la reproduction intégrale d’aucun des quatre récits contenus dans le Nouveau Testament. Le plus ancien est celui de Paul dans sa première lettre aux Corinthiens. Il est témoin d’une tradition qu’il fait remonter directement au Seigneur. Son récit est proche de celui de Luc, avec quelques différences. Ceux de Matthieu et de Marc sont très proches l’un de l’autre, et différent sensiblement de ceux de Paul et de Luc.

    Ces quatre récits ont bien sûr le même contenu : c’est bien à la personne même du Christ (son corps et son sang) que le chrétien est appelé à communier sous le signe du pain et du vin. Mais l’expression liturgique, dès le départ, comporte des différences dont, une fois de plus, il ne faut pas s’étonner. La diffusion orale est propice à cette diversité et les communautés appelées à célébrer le mystère du Seigneur étaient très différentes à Jérusalem, Samarie, Césarée, Antioche, Ephèse, Athènes, Corinthe ou Rome. Dans la primitive Eglise l’unité ne s’opposait pas à la diversité.

    La Tradition une et diverse

    L’unité de la Tradition est assurée par celui qui est la Source : le Seigneur Jésus lui-même. C’est lui qui, par son Esprit, fait cette unité à l’intérieur de l’Eglise. Mais cette Eglise est, dès le départ, faite d’hommes venant d’univers très divers et elle s’adresse à des communautés très différentes. Il est donc normal que le message évangélique se coule dans la variété des expressions humaines.

    Plus profondément, aucune expression humaine fût-elle évangélique ne rendra compte en une seule fois de tout le mystère de Dieu, justement parce que cette expression est limitée et que le mystère de Dieu est sans limite ; c’est bien pour cela que, dès le départ, le message évangélique est divers et présenté sous différentes facettes, et demande à être livré dans sa diversité.

    Puisse notre Eglise, forte de son unité donnée par l’Esprit, accueillir la diversité de l’humanité et traduire dans les mots de notre temps l’unique message du Christ.

    Joseph CHESSERON