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  • Histoire des évangiles

    4 – le choix

    Pourquoi l’Eglise ne reconnaît-elle que quatre évangiles ? Nous avions abordé cette question brièvement dans un précédent article. Le moment est venu d’y répondre plus en détail. Tout d’abord nous nous efforcerons de mieux connaître cette Eglise du II° siècle dans laquelle s’est fixé le « canon des Ecriture »s, la liste des livres reconnus comme inspirés. Puis nous chercherons à savoir à partir de quels critères a été déterminé ce choix. Enfin, nous parlerons des Evangiles apocryphes les plus connus.

    Aspects de l’Eglise au II° siècle

    Les communautés chrétiennes du II° siècle ont été le lieu d’un foisonnement de production littéraire faisant suite aux premiers écrits chrétiens. L’Eglise va être amenée à opérer un tri, à déterminer le canon des Ecritures.

    Le christianisme est né sous le signe de la persécution ; Jésus lui-même a été tué. Puis ce furent Etienne, premier martyr (le mot marturos en grec signifie témoin), en passant par Jacques, fils de Zébédée, à Jérusalem, jusqu’à Pierre et Paul à Rome sous Néron, en 64 ou 67.

    Tout au long du II° siècle, l’Empire romain se montra hostile à cette nouvelle religion orientale qui gagnait du terrain. L’hostilité ne se manifesta pas seulement par le sang versé. La polémique antichrétienne s’exerça par des intellectuels, qui défendaient un paganisme civique et raisonnable. Par contrecoup, toute une littérature prit naissance pour défendre le christianisme. Mentionnons en particulier Saint Justin (mort à Rome en 165) qui écrivit deux Apologies pour réfuter les attaques portées contre l’Eglise, et son Dialogue avec Tryphon, ouvrage polémique avec un Juif. Il y eut aussi des récits de martyres (le Martyre de Polycarpe, évêque de Smyrne), et surtout les Lettres d’Ignace d’Antioche, presque contemporaines des écrits de Jean.

    Par ailleurs, dès le départ, les communautés chrétiennes ont été diverses, parfois même opposées. Dès le début du II° siècle, des écrits essaient d’y mettre bon ordre. Les plus célèbres sont les Instructions des Apôtres, plus connus sous le nom de Didachè, qui comprend des formulaires de célébration pour le baptême et l’eucharistie, et la Lettre de Clément de Rome aux Corinthiens, où il règle des conflits internes dont il a été informé, et en profite pour préciser quelques règles de vie communautaire. Ces écrits sont contemporains des derniers écrits canoniques (lettres de Jean – 1ère lettre de Pierre).

    Cette diversité a provoqué des crises, qui ont donné naissance à des groupes dissidents. Ces groupes ou courants de pensée ont produit une littérature (lettres – évangiles) mise sous le patronage de Pierre, de Jacques ou d’un autre Apôtre, sans qu’ils en soient les auteurs. Mentionnons les « judéo-chrétiens », chrétiens d’origine juive, marginalisés à cause de leur attachement à la pratique de la loi. Plus important, le courant appelé « gnostique », prétendant que le salut s’acquiert plus par la connaissance (élitiste) que par l’union (offerte à tous) au Christ Jésus, mort et ressuscité. Sur le contenu même de l’Ecriture, l’anti-judaïsme de certains milieux chrétiens les a amenés à rejeter tout l’Ancien Testament et toute référence à l’Ancien Testament contenue dans le Nouveau. Ce fut le fait d’un certain Marcion, qui a été vigoureusement combattu. D’autres enfin ont essayé de rassembler en un seul livre les quatre évangiles ; c’est ce qu’a tenté de faire Tatien par le Diatessaron. L’Eglise a toujours rejeté une telle tentative, car l’Evangile est Témoignage à quatre voix.

    Les critères d’une sélection

    C’est dans la 2ème partie du II° siècle que s’établit la liste des livres canoniques. Nous en avons le témoignage par un document latin datant de 180 environ, découvert à Milan au XVIII° siècle, le Canon de Muratori, du nom du prêtre qui l’a découvert. C’est la liste des livres saints reconnus par l’Eglise de Rome. Sont mentionnés les Actes des Apôtres, les lettres de Paul, quatre évangiles, en particulier Luc et Jean. En le mettant en lien le témoignage d’Irénée de Lyon (voir le précédent article), on voit que les Eglises locales, Rome et Lyon, reconnaissent quatre évangiles.

    Les critères de sélection ne sont ni la date (la Didachè et la Lettre de Clément sont de la même époque que les lettres de Jean), ni l’auteur supposé (l’Evangile de Pierre et de Thomas n’ont pas été retenus) ni le fait d’être apôtre (Marc et Luc ne font pas partie des Douze).

    La sélection se fit quasi naturellement : n’ont été retenus progressivement que les textes en usage dans l’ensemble des Eglises, pour la liturgie, la réflexion théologique et dans l’enseignement. N’imaginons pas une sorte d’autorité mystérieuse et cachée qui décide d’un coup : les variantes dans la tradition manuscrite montrent que c’est petit à petit que c’est fait le choix. L’exemple le plus connu de ces variantes est l’épisode dit de la Femme adultère, qui est absent des manuscrits les plus anciens, qu’on trouve dans certains à la fin de l’évangile de Jean ou dans d’autres après Luc 21, 38. Le seul critère fut le consensus progressif de l’ensemble des Eglises acquis à la fin du II° siècle.

    Les évangiles apocryphes

    Ces évangiles n’ont pas été retenus par ce consensus de l’Eglise, soit qu’ils n’avaient pas la sobriété des quatre évangiles, soit qu’ils allaient à l’encontre de la foi commune, soit que, en voulant combler les vides des récits évangéliques, ils versaient dans la fiction.

    Mentionnons d’abord les évangiles d’origine judéo-chrétienne (de Pierre, des Hébreux, des Egyptiens, des Ebionites, des douze Apôtres). Le rejet de l’évangile de Pierre vient sans doute de son manque de sobriété par rapport à la Résurrection : il la décrit, ce dont les autres évangiles se sont bien gardés.

    Puis il y a les évangiles se rattachant au courant gnostique : évangiles de Vérité, de Philippe, de Thomas. On a fait beaucoup de bruit en particulier autour de l’évangile de Thomas, présentant 114 paroles de Jésus. Hormis le fait que ce texte soit connu depuis longtemps, il ne mérite pas l’honneur qu’on lui fait. Il contient des paroles qu’on retrouve dans les autres évangiles, mais d’autres qui sont marqués par le mépris du monde créé.

    Enfin, notons ce qu’on pourrait appeler les évangiles – fictions. Il est vrai qu’on sait peu de choses sur les trente premières années de la vie de Jésus. Les chrétiens des premiers siècles ont voulu combler ces vides. C’est d’eux que nous tenons le nom des parents de Marie, Joachim et Anne, le bœuf et l’âne de la crèche, le nom des mages. Voici les plus connus : Protévangile de Jacques (fin II° siècle ), évangile de Joseph (IV° siècle) évangile du pseudo-Thomas (V° siècle) évangile du pseudo-Matthieu (VI°siècle).

    L’intérêt de ces textes est de nous révéler quelque chose de la vie de l’Eglise des premiers siècles, mais ils n’ajoutent rien aux textes canoniques.

    Dans le prochain article, nous verrons comment es textes des évangiles sont parvenus jusqu’à nous.

    Joseph CHESSERON