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  • # Dièse 66 de mars 2024 à télécharger

    Un courrier mensuel, le 10 de chaque mois
    André TALBOT le 10 mars 2024
    Dossier d’information : Éthique sociale en Église N° 66
    + En écho à l’actualité, quelques réflexions, pour préciser des enjeux de vie et cultiver l’espérance.
    # DIÈSE  : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique.
    Propos offerts pour être partagés.

    1– Peut-on parler d’humanisme ?

    Alors que deux fortes personnalités quittaient notre monde, Jacques Delors puis Robert Badinter, on a vu refleurir le qualificatif d’humanistes pour les caractériser. Pour certains, qui ne voient en ce terme que le reflet d’une époque révolue, ou au mieux le privilège de quelques « belles âmes », c’était une seconde manière de les « enterrer ». Pour d’autres, parmi lesquels je me place, cette évocation pouvait sonner comme un signe de réveil, comme une interrogation majeure : serions-nous dans une phase de dé-civilisation ? Si ce risque existe, comment réagir ? L’humanisme peut-il donner un cap ?

    La visée humaniste semblait renvoyée au ciel pour faire place à du sérieux : l’efficacité. C’est alors le dollar qui devient la valeur de référence et l’accumulation en milliards comme la réalisation ultime, jusqu’à l’aveuglement ; au point que la prise en compte des questions environnementales reste secondaire et l’éradication de la grande pauvreté est reléguée au rang de rêve utopique. Seul compte alors le déploiement de la force brutale, de la domination, y compris au moyen des armes et de la terreur.

    L’humanisme a pu être colonisé par une image tronquée de progrès. On croyait que, grâce aux découvertes scientifiques et aux applications techniques, aujourd’hui serait forcément meilleur qu’hier, mais moins bien que demain… Les barbaries du 20ème siècle auraient pourtant dû nous alerter : la pseudo science peut être utilisée pour asservir les consciences, les techniques peuvent être utilisées pour des tueries de masse.

    Une image plus fine du progrès permettait de nommer des avancées en termes d’énoncés de droits humains, de signatures de conventions internationales ; mais on a pu croire naïvement que ces acquis tiendraient par eux-mêmes, sans qu’on en prenne soin. Ceux qui se disaient encore « progressistes » en restaient à des revendications individuelles de type sociétal, sans souci du devenir de notre monde.

    Gardons-nous de fausses pudeurs ! Il est urgent de poser la question d’un humanisme exigeant, susceptible d’offrir une perspective, d’orienter nos choix personnels et communs les plus fondamentaux.

    2– Un monde de souffrances

    La situation n’est pas brillante. Il y a les souffrances liées aux fragilités humaines, et surtout celles relevant de nos irresponsabilités et dépendant de nos actions maléfiques. Les conflits augmentent par le nombre des foyers de tension, mais aussi par la violence redoublée des actes de guerre – en vue de terroriser les populations - et le mépris de la dignité humaine la plus élémentaire : au Proche Orient, en divers pays d’Afrique et d’Asie, à Haïti, à l’est de l’Europe, des populations sont obligées de fuir, affamées volontairement et privées de soins, soumises à des traitements inhumains, victimes d’actes de guerre qui tuent indistinctement, y compris quand les personnes cherchent à se nourrir ou à secourir les blessés. On sait que les enfants et les femmes sont les premières victimes. Que devient une humanité qui sacrifie ainsi ses membres les plus fragiles ? L’autre n’est plus considéré comme un humain. Un tel déni d’humanité devient contagieux.

    De manière odieuse, des motivations religieuses se trouvent parfois invoquées pour légitimer des injustices et d’horribles violences.

    3 – Pour un humanisme de cœur et d’esprit, apte à dynamiser la politique…

    + Commençons par refuser de nous trouver réduits à des consommateurs boulimiques, à des brutes qui ne pensent qu’à asservir et à tuer. Nous valons infiniment mieux que ces caricatures sordides. Oui, nous pouvons nous prévaloir de notre capacité à mener une vie digne et constructive, mieux encore, nous sommes aptes à reconnaître en nous le désir de respecter notre semblable et même de l’aimer. Pourquoi mépriser le désir d’alliance qui nous anime, pourquoi le laisser en friche, ouvrant la voie à la puissance dominatrice ?

    Apprenons à nous présenter nous-mêmes à partir de notre dignité, à nous regarder positivement comme des humains qui aspirent à grandir en humanité. Nous sommes capables de choisir le bien, afin de mieux l’accomplir : à ce propos, l’idée de progrès est bienvenue, ce qui suppose de la constance et de l’intelligence.

    + Mais je ne déploie ma propre dignité que dans la mesure où je l’investis dans la promotion de la dignité d’autrui. Ce qui passe par des actions concrètes d’entr’aide et de soutien mutuel : des rencontres du quotidien ouvrant la voie à une fraternité qui ne reste pas figée dans la pierre des édifices publics. Faisant place à notre désir le plus authentique, nous osons choisir le bonheur et non le malheur. Cela passe par les dénonciations de tout ce qui est mépris de la dignité humaine : ne nous laissons pas embarquer en des légitimations douteuses ! Surtout, construisons au quotidien les solidarités fraternelles qui nous font tenir ensemble, sans rester prisonniers de classes sociales ou de frontières étatiques. De tels choix personnels demeurent premiers, mais ils restent insuffisants. Il faut en arriver au cap politique.

    + Où en sommes-nous à propos de vrais projets politiques, ceux qui dessinent un humanisme concret, qui envisagent sérieusement un avenir de justice et de paix ? Il ne s’agit pas d’un catalogue de mesures disparates, de réformes populistes surfant sur les rancœurs… Un sursaut démocratique est nécessaire, afin que le peuple se trouve associé à cet imaginaire d’un bien vivre ensemble, en vue de le construire collectivement.

    Une référence éthique demeure centrale : la prise en compte de la dignité de chaque personne humaine, à commencer par la plus fragile. En vertu du principe de réciprocité (la règle d’or), chacun travaille à faire pour autrui ce qu’il attend que l’autre fasse pour lui, non pour rêver d’équivalences introuvables, mais pour avancer ensemble dans un échange de dons qui déborde tout étalonnage.

    Il vaut la peine de nous entretenir à propos d’un humanisme exigeant, qui ne se paie pas de mots, qui engage chacun.

    4 – Des paroles d’espérance : Albert ROUET, Et il dit : heureux ! Une lecture des Béatitudes selon saint Matthieu ? Salvator, 2024.
    + Heureux les doux : « Cette terre est encore l’objet de convoitises et de violences pour l’accaparer, l’occuper et l’exploiter. Elle suscite toujours de nombreuses guerres dont le but, la possession, élimine l’autre : c’est bien ce que promettait le tentateur. La béatitude de la douceur envisage cette terre comme le lieu du partage. La douceur crée une écologie du rapport à la terre qui dépend de la qualité des relations entre les hommes. » P. 88
    + Heureux ceux qui font la paix : « La paix demande du travail. Elle est un chemin qui déplace et non pas une tranquillité morne et satisfaite. Elle entre dans le plan de Dieu, celui de faire de la terre qu’il a confiée aux hommes un monde humain et fraternel. » P. 165

    Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE