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  • Les Rencontres de Jésus dans l’Evangile
    Guérison de l’aveugle Bartimée
    (Mt 20,29-34/Mc 10,46-52/Lc 18,35-43)

    La scène est située avec précision. Quand on vient de Transjordanie (où Jésus est allé (cf Marc 10,1) Jéricho est la localité par laquelle on pénètre en Israël. C’est surtout pour Jésus une étape décisive dans sa marche vers Jérusalem (11,1). Non seulement ses disciples, mais une « foule nombreuse » suit Jésus. Matthieu encadre soigneusement la scène par le verbe « suivre » (cf Matthieu 20,29-34).

    Jésus y rencontre un de ces nombreux aveugles du temps, réduits à la mendicité (v. 46c). Marc est le seul des évangélistes à avoir retenu son nom. « Bartimée » est un nom araméen que Marc s’empresse de traduire à l’intention de ses lecteurs grecs : « le fils de Timée ». Il est bien campé dans son extrême marginalité : assis et au bord du chemin. Matthieu mentionne 2 aveugles, pour donner à l’événement une portée plus communautaire. En Matthieu 20,30, ils sont assis au bord du chemin (cf Marc et Luc), comme « en panne », dans l’attente d’un secours. Ils représentent le peuple « assis » dans les ténèbres de la mort, ce dont parle l’évangéliste Matthieu au début de la mission de Jésus, le peuple destiné à voir « se lever une grande lumière » (Matthieu 4,16).

    Cet homme figé dans sa solitude, en raison de sa cécité, n’en est pas moins un homme en recherche. Menacé et invité à se taire (cf Luc 18,39), avec une spontanéité étonnante, il appelle le Maître qui passe. Son cri est l’expression d’une grande détresse mais surtout d’une incroyable confiance. C’est un véritable acte de Foi, en dépit de l’adversité de la foule et, peut-être, des disciples eux-mêmes. Ces derniers n’ont-ils pas rabroué les enfants, cette autre catégorie d’exclus, qui voulaient s’approcher de Jésus (cf Marc 10, 13-16) ? Ils en sont donc capables. En St Matthieu, les aveugles de Jéricho doivent répéter courageusement le cri de leur Foi (Mt 20,31).
    Le mouvement de rejet de la foule caractérise bien la société de l’époque. Il lui paraît inconvenant qu’un mendiant puisse importuner Jésus dans sa marche. Il est aveugle, atteint d’un handicap, donc impur et pécheur. La confiance de l’aveugle est si grande que, non seulement elle est répétée à plusieurs reprises, mais elle est en même temps adressée au « fils de David », expression messianique par excellence.

    Cette prière insistante, répétée, touche son but. Dans Marc et Luc, Jésus demande qu’on lui amène l’aveugle (Marc 10,49 ; Luc 18,40). En Matthieu, Jésus s’adresse aux aveugles directement (Matthieu 20,32 : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ?  ». C’est une scène de vocation.
    À ce moment, la foule (et les disciples ?) font volte-face : elle invite l’aveugle à s’approcher de Jésus (Marc 10,49). Il y a dans ces mots comme une offre faite à l’homme de quitter sa posture de mort : « Lève-toi » veut dire aussi « ressuscite » dans le grec de l’Evangile.

    L’effet de cet appel ne se fait pas attendre. Aussitôt « l’aveugle » jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus (Marc 10,56). Tout se passe comme si Bartimée n’était plus aveugle ! En rejetant son manteau, il quitte sa condition d’exclu. Le vêtement, en effet, dans la Bible, symbolise la personnalité de celui qui le porte. En Exode 22,25-26, il est dit que le manteau est l’unique bien que possède le pauvre. En l’abandonnant, Bartimée réalise ce que Jésus n’avait pu obtenir de l’homme riche : il quitte tout pour se mettre à sa suite. Il « bondit ». Ce bond dans la nuit, qui est encore la sienne, est le bond de la Foi. Il courut vers Jésus : cette course pour rejoindre le Sauveur en dit long sur sa Foi.
    Une fois dans l’intimité de Jésus, ce dernier lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? (Marc 10,51 ; Matthieu 20,32 ; Luc 18,41). La question peut nous surprendre, tant les besoins de cet homme sont évidents. Mais Jésus respecte toujours la liberté humaine de ceux qui l’approchent. Il répond : « Rabbouni, que je voie » (Marc 10,51b). « Rabbouni » signifie « mon maître », expression d’une vénération et d’une familiarité plus forte à l’adresse de Jésus.

    La demande « que je voie » est la moindre des choses de la part d’un aveugle. Mais l’homme exprime peut-être un besoin plus profond. Le récit le suggère. Le « va » est un envoi. Jésus délivre l’homme de ce qui le paralysait. D’avantage, il qualifie de « foi » tout ce qui a mû Bartimée depuis ses cris répétés jusqu’à son élancement au-devant de sa personne, alors qu’il était encore un non-voyant. Et l’expression « t’a sauvé » signifie que le don accordé par Jésus au croyant va au-delà de la guérison physique : le salut de l’homme tout entier. Cf également Marc 5,34, à l’égard de la femme atteinte d’hémorragies. Il y va du sens profond des miracles accomplis par Jésus. « Aussitôt », l’homme guéri de sa cécité emboîte le pas à Jésus (Marc 10,52). Marc affectionne cette soudaineté que l’on trouve dans d’autres passages de son Evangile (1,12.20 ; 2,12 ; 5,30 ; etc.). L’homme guéri se met à « le suivre », formule bien connue qui désigne l’attitude du disciple (cf Mc 1,18 2,14).
    L’évangéliste Marc ne pouvait mieux situer ce récit qu’au moment où Jésus va entrer dans Jérusalem : saura-t-on le reconnaître pour ce qu’il est et ce qu’il fait ?.

    Celui qui vient sauver les hommes poursuit un double but : les réhabiliter dans la société de leur temps et les intégrer à la communauté d’amour qu’il fonde.

    Père Jean-Marie Loiseau
    Février 2018