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  • Lettre ouverte….aux Juges et à quelques uns en particulier.

    Chers amis les Juges

    Non, non ! Je n’ai subi aucun dommage de la part de quiconque, ni, porté préjudice à un concitoyen au point d’être traîné devant la justice de mon pays. Si je m’adresse à vous, ce n’est pas pour un procès : vous n’êtes pas des juges comme nous l’entendons à notre époque. « Juge » dans la Bible, ça veut dire surtout celui qui exerce une autorité sur une grande ou une petite partie du peuple. Il est celui qui « sauve » le peuple de l’ennemi. Dieu, pour cette tâche, choisit un homme ou une femme. De toute façon, d’une manière ou d’une autre, vous, les Juges, vous recevez toujours cette autorité de Dieu, qui est, seul, le Seigneur et le Sauveur de son peuple.

    Dans le livre qui raconte vos histoires, cela se passe toujours de le même scénario : le peuple fait ce qui est mal aux yeux de Dieu ; des ennemis lui font la guerre ; Dieu choisit quelqu’un pour aller à son secours et le peuple est délivré ! Parmi ces hommes, il y a vous, les « petits Juges » ; rien à voir avec votre taille : petits car on parle de vous seulement en quelques mots ou par une brève histoire. Pardonnez-moi si je choisis de n’écrire qu’à Gédéon, à Jephté et à Samson : leurs histoires ont plus de volume. Pardon à vous, Yaël (Jg [Juges] 4, 17-23) et Débora (Jg 4, 4-23 et 5, 1-31) : ce n’est pas que je vous oublie, non ! J’ai le projet d’écrire à toutes les femmes de la Bible : Il y a tellement de choses à dire à leur sujet !

    Cher Gédéon ! (Jg ch. 6-8)

    Cela va très mal à ton époque : des nomades appelés Madianites lancent sans cesse des razzias contre le peuple d’Israël. Vous vous réfugiez dans la montagne et le peu de blé que vous récoltez, pour ne pas attirer l’attention des pillards, vous ne le battez pas sur l’aire, mais dans le pressoir . Et c’est là que le Seigneur vient te chercher pour délivrer ton peuple. Comme Moïse au Buisson Ardent, tu n’acceptes pas tout de suite : tu demandes des signes. Comme Moïse, tu as peur de voir la face de Dieu, qui te rassure et, en souvenir, tu dresses un autel auquel tu donne le nom de « Le Seigneur est paix ».

    Mais avant de détruire le mal qui vous oppresse (la domination des Madianites), il te faut combattre la cause du mal : l’idolâtrie. Le Seigneur te demande de détruire le sanctuaire au dieu Baal (autel et poteau sacré), dont ton propre père est le gardien. Quand les gens, furieux, veulent de faire mourir, il prend ta défense, ou, plutôt, ironiquement, il demande à Baal de plaider sa propre cause.

    Après avoir convoqué les tribus du Nord et t’être assuré définitivement du soutien du Seigneur par un test et une prière qui ressemble étrangement la prière d’Abraham pour Sodome (Gn 18,30.32), tu prépares la campagne contre Madian. Ou plutôt le Seigneur met ta confiance à l’épreuve. Il trouve que ton armée est trop importante : il te demande d’abord d’éliminer tous ceux qui ont peur. Rien que de très normal : un trouillard ne fait pas un bon soldat !

    Ceux qui restent sont encore trop nombreux à ses yeux. Tu ne devras garder que ceux qui pourront, dans la rivière, boire en lapant comme des chiens ; il ne te reste que trois cents soldats ! Mais le Seigneur soutient ta confiance. Il t’emmène de nuit dans le camp de Madian et te révèle quelle panique va s’emparer de l’ennemi. Et c’est toi-même qui organises la panique : avec de simples torches et des cris, sans bouger, tes « soldats » vont mettre le camp ennemi sens dessus dessous et provoquer la débandade ! Ceux qui n’ont pas participé à la campagne en récoltent les fruits, non sans te faire le reproche de ne pas les avoir convoqué à la bataille. Ta réponse à leurs récriminations donne sens à toute cette histoire : « C’est entre vos mains que Dieu a livré les chefs de Madian ».

    Quelle ressemblance avec la prière de Moïse pendant la bataille contre Amaleq ou la prise de Jéricho par Josué ! Dieu seul donne la victoire ; c’est en lui seul que vous mettrez votre confiance.

    C’est tout ce que je retiendrai de ta vie, cher Gédéon. Tu sauras te garder de la tentation du pouvoir en refusant la royauté Ce ne sera malheureusement pas le cas de ton fils Abimélek racontée au chapitre 9. Il est, par sa volonté de pouvoir, l’image même de ce que Dieu condamne.

    Vieille histoire que ton histoire, Gédéon, pour nous, gens du XXIe siècle ! Est-ce bien sûr ? n’avons-nous plus d’idoles à renverser ? En qui mettons-nous notre confiance ? En disant peut-être les choses autrement que toi, nous reconnaissons-nous dans ta parole « Que le Seigneur soit votre souverain ! » ?

    Cher Jephté Jg 10, 6–12, 7)

    Pardonne-moi de ne t’envoyer qu’un court billet, et, de ton histoire (8), de ne retenir que quelque points. Ton aventure se situe à l’est du Jourdain où quelques tribus s’étaient installées, plus spécialement en Galaad. Comme beaucoup de personnages de la Bible, ton origine est un peu particulière : ta mère est une prostituée. Tes frères « légitimes » te chassent et, pour survivre, tu deviens chef de bande. Comme les voisins Ammonites lancent des razzias contre le fils d’Israël, les chefs de Galaad, toute honte bue, viennent te chercher. Tu acceptes, non sans leur rappeler leur méchanceté à leur égard.

    Au moment de partir en guerre contre les Ammonites, tu leur rappelles que leurs ancêtres (9) avaient laissé passer pacifiquement le peuple d’Israël en marche vers la Terre Promise. Avant de franchir la frontière des fils d’Ammon, tu fais le vœu, bien imprudent, d’offrir en holocauste, si tu reviens victorieux, la première personne qui sortira à ta rencontre.

    Effectivement, le Seigneur te donne la victoire, mais qui vient à la rencontre du chef victorieux sinon ta propre fille ! Catastrophe ! A tes yeux et aux yeux du peuple tu dois accomplir ton vœu. Tu laisses ta fille aller avec ses compagnes pleurer sa virginité (pour elle, la non maternité est pire que la mort) avant, comme le dit pudiquement la Bible, « d’accomplir sur elle ce que tu avais prononcé ».

    Version hébraïque d’Agamemnon sacrifiant sa fille Iphigénie ? Certainement pas. Il semble bien que les auteurs qui ont retenu cet épisode de ton histoire l’on fait pour faire tenir ensemble l’inviolabilité d’un vœu au Seigneur et la condamnation des sacrifices humains. Pas facile à comprendre pour un esprit occidental du XXIe siècle, pétri de logique mathématique et scientifique !

    J’en resterai là, avec ta peine, triste Jephté !

    Salut, Samson ! ( Jg 13-16)

    Si ta fin est tragique, toi tu n’es pas triste ! Je dirais même que tu es un drôle de numéro ! Ton histoire est à la fois religieuse, paillarde et guerrière : une sorte de conte fantastique ! (10) Si quelqu’un a dit que la femme est l’avenir de l’homme, en ce qui te concerne, elle t’a conduit à la perdition, du moins apparemment ! Avec la Bible, il faut se garder des affirmations péremptoires et définitives !

    Si je regarde superficiellement ton histoire, en l’occurrence une des plus connues du grand public, je la trouve un peu bizarre. Religieusement, elle commence très bien, bibliquement classique comme toutes les histoires des autres juges. Parce que les fils d’Israël ont fait ce qui est mal aux yeux du Seigneur, ils sont opprimés par les Philistins. Ta mère est stérile ; un homme (un ange ?) vient lui annoncer qu’elle va être enceinte et qu’elle devra respecter un certain nombre de règles de pureté rituelle ; son enfant ne devra jamais se couper les cheveux sous peine de perdre la force fantastique que le Seigneur va te donner. Devenu grand, l’esprit du Seigneur commence à t’agiter. Rien que du « religieusement correct ».

    Puis, brusquement, le ton change : ton penchant pour les femmes te fait porter les yeux sur une jolie philistine que, malgré tes parents, tu veux épouser. Au cours de tes pérégrinations, grâce à ta force, tu déchires un lion en deux. Quelques jours après, tu trouves du miel dans la carcasse du lion. Au cours des noces, tu poses aux invités une énigme dont le gage est trente tuniques et trente vêtements : « De celui qui mange est sorti ce qui se mange et du fort est sorti le doux ». On menace ton épouse, qui finit par t’arracher le sens de l’énigme. Tout en colère, tu vas tuer trente Philistins et tu t’acquittes de ton gage avec leurs vêtements.

    Mais, quand tu veux reprendre ta femme elle a été donnée à un autre. Pour te venger, tu attrapes trois cents renards à la queue desquels tu attaches des torches enflammées et tu les lances dans les récoltes de tes ennemis. S’ensuit toute une série de violences. Tu deviens « l’ennemi public numéro un ». Même ton peuple s’en prend à toi. Tu acceptes d’être livré au Philistins ficelé comme un saucisson. Mais, dès que tu es au milieu d’eux, par ta force phénoménale, tu brises tes liens et, avec une mâchoire d’âne, tu en massacres un bon millier.

    Toujours une histoire de femme : tu vas à Gaza, ville philistine, chez une prostituée. Les responsables l’apprennent et bouclent la ville. Tu n’en a cure : arrachant les portes avec la barre, tu transportes tout à Hébron, à 70kms !

    Mais tout a une fin. Ton point faible, c’est vraiment la femme. Qui n’a jamais entendu parler de ton aventure avec Dalila ? Alliant paroles d’amour et traîtrise, elle finit par t’arracher le secret de ta force. Elle coupe tes tresses et tu n’es plus qu’un pantin dans les mains de tes ennemis. On te crève les yeux, on se moque de toi, mais on oublie que tes cheveux repoussent. Lors d’une fête, on t’emmène dans leur temple pour faire quelque pitrerie. Tu demandes à ce qu’on te mette entre deux colonnes du temple. Grâce à ta force retrouvée, tu t’arc-boutes aux deux colonnes ; le temple s’écroule et (Jg 16, 30) « les morts que tu fis mourir par ta mort furent plus nombreux que ceux que tu avais fait mourir durant ta vie ».

    Conte fantastique que ton histoire ! Pourquoi l’avoir gardé dans la Bible, livre religieux par excellence ? Je donne une réponse, tout à fait personnelle et discutable. La Bible n’est pas d’abord un livre de morale « édifiante » : elle montre l’humanité telle qu’elle est. En conséquence, Dieu, aujourd’hui comme hier, agit au cœur de cette humanité avec les hommes tels qu’ils sont. Samson, tu en es le parfait exemple : fort en muscles et en gueule, passablement porté sur le sexe, Dieu t’a pris tel que tu étais pour sauver son peuple. Bien plus tard, nous en tirerons la même conclusion avec le « saint » ( ! ! !) roi David.

    Merci, Samson, de nous l’avoir fait comprendre tout en nous amusant.

    Joseph CHESSERON