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  • Lettre ouverte…à Moïse

    Introduction : ta place éminente

    Moïse, c’est avec crainte et tremblement que je commence cette lettre. Tu es tellement grand ! Tu occupes le terrain sur quatre livres de la Bible : Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Quel parcours étonnant ! Il faudra bien que je t’envoie trois lettres pour en donner un aperçu à peu près convenable ! Mis à part Jésus, bien sûr, c’est ton nom qui est le plus cité dans tout l’Evangile, en particulier, dans saint Jean. En aussi peu de place, je ne dirai pas tout de toi ! Je me contenterai de raconter ton histoire, du moins telle qu’elle apparaît dans la Bible. C’est une œuvre périlleuse que j’entreprends, car les auteurs de ces livres ne voulaient pas d’abord raconter ta vie mais dire la relation de Dieu avec son peuple et, à travers lui, avec l’humanité. Dans cette histoire d’amour, tu occupes une place centrale. J’espère donner de toi une image à peu près fidèle, pour ne pas trop trahir la Parole de Dieu qui a pris corps dans cette histoire d’homme.

    Ton itinéraire, de ta naissance à ta mort

    Pour ceux qui ne te connaîtraient pas bien ou qui auraient oublié, permets que je décrive en quelques mots ton itinéraire : Sauvé des eaux du Nil, tu deviens prince égyptien, puis tu séjournes dans le désert où tu reçois la mission de délivrer ton peuple. Tu la réalises en lui faisant franchir la mer. Par la route la plus longue (le Sinaï), et avec bien des difficultés, tu le conduis vers la Terre Promise et, pendant ce parcours de quarante ans, tu lui donneras la Loi (mal traduite par l’expression : les Dix Commandements) qui sera la sienne quand il prendra possession de cette Terre. Malheureusement, tu n’y entreras pas : tu ne pourras que l’apercevoir du haut du Mont Nébo où tu mourras.

    De tes débuts à ta fuite au désert

    Dans la lettre que j’ai écrite à Joseph, j’ai rappelé dans quelles circonstances ton peuple s’est installé en Egypte. Apparemment tout va bien (Ex [Exode] 1, 7). Mais les affaires se gâtent avec un Roi [Pharaon] qui n’a pas connu Joseph ( Ex. 1, 8-13). La xénophobie, ça ne date pas d’hier (« L’Egypte aux Egyptiens », version ancienne de « La France aux Français » ) : Pharaon, pris de peur par la croissance de ce peuple étranger, décide de faire tuer par les sages-femmes tous les Hébreux mâles à leur naissance . C’est sans compter avec leur conscience : elles n’exécutent pas les ordres (Ex 1, 15-21). Pharaon ordonne alors de jeter les mâles au Fleuve, la solution finale en somme, comme on dira … et fera, hélas ! plus tard… Heureusement pour toi, ta mère et ta sœur sont astucieuses (des sages !) : elles te sauvent en piégeant la fille de Pharaon (Ex 2, 1-10) : les eaux qui devaient donner la mort te donnent la vie, une sorte de baptême(Rm [Epître aux Romains] 6, 4), une nouvelle création…

    La fille de Pharaon t’élève comme son fils (Ex 2, 10) [sur ce point, le film « Le Prince d’Egypte » n’a pas tort] ; tu as vraiment deux mères ! Mais tu n’oublies pas pour autant tes compatriotes. Tu en fais même un peu trop (Ex 2, 10-15) : Dieu ne t’a encore rien ordonné, surtout pas de tuer un Egyptien. Tu dois t’enfuir au pays de Madian. Comme le serviteur d’Abraham allant chercher une épouse pour Isaac (Gn 24, 10-27) comme ton ancêtre Jacob, tout se noue au bord d’un puits. Tu y rencontres de jolies bergères dont tu prends la défense (Ex 2, 17) ; l’une d’elle te sera donnée en mariage (Ex 2, 22) par son père Réouël, prêtre de Madian (appelé aussi Jéthro, suivant une autre tradition).

    Ta vocation au Buisson Ardent

    Te voilà devenu berger (Ex 3, 1) : pour un prince égyptien, quelle déchéance ! Mais, pour qui connaît déjà ton histoire, quel clin d’œil ! Tu vas devenir le berger de ton peuple ! et c’est vraiment là que tout commence, sur cette montagne (Horeb ou Sinaï, c’est le même lieu, suivant les traditions qui rapportent ton histoire) où tu conduis le troupeau de ton beau-père. Pour la première fois, Dieu te fait signe à travers un buisson en feu … qui ne brûle pas (Ex 3, 2). Ta curiosité te pousse à aller voir et là, d’emblée, Dieu te révèle deux choses capitales : premièrement « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! », suivant le titre d’un livre de Maurice Clavel resté célèbre : Dieu est Saint, Dieu est l’inconnaissable (Ex 3, 14) ; deuxièmement ce Dieu apparemment lointain, c’est un Dieu qui se fait proche, le Dieu de tes pères Abraham, Isaac et Jacob (Ex 3, 6), qui voit la misère de son peuple (Ex 14, 7 et s).

    Ta curiosité va te coûter cher ! Tu es engagé dans une aventure extraordinaire et périlleuse : toi l’ancien prince égyptien devenu berger, ce Dieu qui ne veut pas dire son nom ou qui le dit de façon si mystérieuse, pour qu’on ne mette pas la main sur lui, t’envoie auprès de Pharaon délivrer les Hébreux (Ex 3, 10)

    Naturellement (comme on te comprend !), tu cherches à te défiler : « Qu’est-ce que je suis, moi, pour une tâche pareille ? »( Ex, 3, 11) - « Les fils d’Israël me demanderont : ‘Quel est le nom du Dieu qui t’envoie ?’ » (Ex 3, 13 et s) – « Ils ne me croiront pas ! » (Ex 4, 1) – « Je ne suis pas doué pour la parole ! » (Ex 4, 11) – « Envoie qui tu voudras ! » (Ex 4, 13). A travers l’expression de tes réticences, quelle manière étonnante, pour les auteurs de la Bible, de dire que Dieu respecte ta liberté … et la nôtre !

    Dieu a beau répondre à tes questions, à tes objections : « Je suis avec toi » (Ex 3, 12) – « Mon nom est ‘JE SUIS ou JE SERAI’ et voici ta mission… » (Ex 3, 14 et s) – « Tu feras des signes extraordinaires, en particulier avec ton bâton » (Ex 4, 2 et s) – « Je suis avec ta bouche et je t’enseignerai » (Ex 4 12) - « Ton frère Aaron a la parole facile », il faut qu’il se mette en colère pour que tu finisses par accepter (Ex 4, 14).

    Ta confrontation avec Pharaon

    Sur le chemin du retour en Egypte, tu retrouves ton frère Aaron et tu fais reconnaître ta mission par les anciens et tous les fils d’Israël (Ex 4, 27-31). Et te voilà parti pour la grande confrontation avec Pharaon (Ex, chapitres 5 à 12). Ta première démarche auprès de lui se révèle catastrophique : non seulement Pharaon, si je peux me permettre cette expression, t’envoie proprement sur les roses, mais il ordonne de rendre les corvées plus dures encore (Ex 5, 1-11). Ta cote auprès des fils d’Israël tombe au plus bas, mais le Seigneur te demande de lui faire confiance (Ex 5, 20 à 6, 1).

    Dans notre langue, l’expression « les Dix Plaies d’Egypte » signifie une succession de catastrophes aussi imprévisibles que gigantesques. C’est bien ce qui va s’abattre sur ce pays, par ta main et sur l’ordre du Seigneur, du moins tel que c’est raconté. Toi, tu sais maintenant ce que signifie ce récit. Je vais le résumer, mais auparavant, je demande instamment aux lecteurs de ne pas prendre tout ça au pied de la lettre (on appelle cela une lecture « fondamentaliste ») et, si possible, de lire les introductions et les notes de leur Bible.

    Ces dix fléaux vont se dérouler pratiquement suivant le même scénario : tu te rends chez Pharaon pour lui demander de laisser le peuple aller dans le désert pour offrir des sacrifices à Dieu et tu brandis la menace d’une calamité ; Pharaon refuse. Le Seigneur, par ton intermédiaire, fait ce qu’il a annoncé ; Pharaon accepte mais se rétracte dès que le fléau s’arrête, et ainsi de suite. Les neuf premiers fléaux ne vont, si j’ose dire, que frapper les choses matérielles : l’eau changée en sang (Ex 7, 14-25), les grenouilles (Ex 7, 26 à 8, 11), les moustiques (Ex 8, 12-15) la vermine (Ex 8, 16-28), la peste du bétail (Ex 9, 1-7), les furoncles (Ex 9, 8-12), la grêle (Ex 9, 13-35), les sauterelles (Ex 10, 1-20), et les ténèbres (Ex 10, 21-28). Certains voudront expliquer savamment que ce sont des phénomènes naturels tout à fait vérifiables, par exemple le Nil Rouge, un des aspects des crues naturelles du Fleuve. Dans sa mentalité, l’auteur y voit l’intervention directe de Dieu et un signe qu’il fait à Pharaon. On peut regarder de haut une telle manière de voir les choses, mais en est-on si loin quand certains disent que le Sida est envoyé par Dieu pour punir les hommes de la dépravation actuelles des mœurs ? Tu le sais bien, toi, Moïse, la Bible n’est pas un livre de sciences naturelles, ni un livre d’histoire !

    A la fin du dernier fléau, Pharaon te renvoie une dernière fois. Tu penses que tu ne le reverras plus, car voici venir la dernière épreuve annoncée : la mort des premiers-nés.

    Je vais en rester là pour aujourd’hui, non pour entretenir le suspense, mais pour laisser de la place à celui qui remplit le reste de cette page ! Je t’écrirai dans un mois pour que tu te souviennes (mais as-tu pu l’oublier ?) de ce qui restera une des plus fortes images de toi : Toi l’homme sauvé des eaux, par les eaux de la mer, tu vas sauver ton peuple ! (Ex 14, 1-31).

    Note pour une meilleure compréhension

    Un récit biblique n’est jamais un reportage au sens moderne du terme. L’exactitude matérielle n’entre pas dans les préoccupations de l’auteur. Par ce genre littéraire du récit, il veut nous délivrer un message sur Dieu, sur l’homme, sur leurs relations. Pour illustrer mon propos, j’invite à comparer les trois récits la conversion de saint Paul dans les Actes des Apôtres (9, 1-19 – 22, 1-16 – 26, 9-18). Si le fond du discours est le même dans les trois récits, bien des détails sont différents ; de la part d’un auteur soucieux d’exactitude (Luc, 1, 1-4), c’est étonnant ! reste à savoir de quelle exactitude il s’agit … et de comprendre le pourquoi de ces différences. Mais cela est une autre histoire, sur laquelle nous reviendrons sans doute.