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  • Lettre ouverte… à Josué

    Bonjour, Josué

    Peut-être as-tu jeté un œil sur les lettres que je viens d’écrire à ton maître Moïse. J’y ai parlé de toi, en bien, rassure-toi ! Tu as fait partie des explorateurs qu’il avait envoyés pour voir comment c’était dans ce fameux pays de Canaan que Dieu vous avait promis. Toi seul, avec ton ami Caleb, l’aviez décrit sous un jour favorable (Nb [Nombres] 14, 6-9). Aux autres explorateurs la punition : ils ont méprisé et refusé le Don de Dieu. A vous la récompense : vous seuls survivrez (Nb14, 38) et entrerez dans ce « très, très beau pays ».

    Préparation de l’entrée en Terre Promise

    Pour l’heure, Moïse vient de mourir. A qui, sinon à toi, Dieu va-t-il confier la mission de faire franchir le Jourdain par le fils d’Israël et occuper le pays ? (Jos [Josué] 1, 1-9) Rude tâche ! Mais Dieu a fait le bon choix : tu es le fidèle parmi les fidèles. Tu te montreras ferme, courageux, bon organisateur.

    Rude tâche, non à cause du Jourdain ( c’est une petite rivière), mais parce que vous êtes attendus de l’autre côté ; les envahisseurs ne sont jamais bien vus. Souviens-toi de Balaq, ce roi de Canaan, qui fait appel au devin Balaam pour vous maudire au nom de Dieu (Nb 22 à 24). Il en a eu des déboires, ce fameux devin, avec son ânesse, plus clairvoyante que lui ! Si tu as oublié les détails, Josué, reprends la Bible (tu devrais bien en trouver une dans la bibliothèque du Paradis !) : l’auteur raconte l’histoire de façon très savoureuse. Tout cela pour dire que ça ne sert à rien de s’opposer au projet d’amour de Dieu pour son peuple et, à travers lui, pour tous les hommes.

    Tu commences par envoyer des espions à Jéricho (Jos 2, 1-24), qui vont loger chez Rahab, la prostituée : dans une maison comme celle-là, on risque moins de se faire remarquer ! Elle joue le jeu en cachant tes espions qui ont été repérés et en indiquant une mauvaise direction aux poursuivants. Il est vrai qu’en compensation elle demandera la vie sauve pour elle et sa famille, promesse que tu tiendras, comme il sera dit plus loin,. Mais quelle étrange idée de la part de Dieu de se servir d’une telle femme pour faire entrer son peuple en Canaan ! Et quelle postérité ! D’après la généalogie de Jésus selon Matthieu (Mt [Matthieu] 1, 1-17), elle sera la mère de Booz, grand-père de Jessé, lui-même père de David.

    Les espions ont fait du bon travail : on peut y aller ! Tu avertis le peuple de la traversée prochaine du Jourdain.

    Le passage du Jourdain

    A ce point de ma lettre, je te dis mon étonnement : tu as quand même une drôle de façon de te préparer à la guerre : de militaires, point, ou presque ! Seulement des prêtres (Jos 3, 1-) portant une sorte de caisse, appelée Arche de l’Alliance. Il suffit qu’ils mettent les pieds dans l’eau, pour que le cours du Jourdain s’arrête. Sans coup férir, le peuple peut passer ; pas l’ombre d’un ennemi ! Un passage de la Mer Rouge sur un mode mineur, en somme !

    En Terre Promise !

    Vous voilà maintenant chez vous, c’est-à-dire dans le pays que Dieu vous a donné. Pour bien le marquer et rappeler l’Alliance conclue avec les pères, (Jos 5, 1-12) tu fais pratiquer le signe de cette Alliance, la circoncision, oubliée depuis le séjour en Egypte. Vous célébrez la première Pâque avec des produits du pays, et la manne, cette nourriture venue d’ailleurs, cette nourriture du désert s’arrête… pour revenir en temps voulu sous une autre forme : le pain venu du ciel, pain de vie éternelle (Jn [Jean] 6, 48-50), Jésus lui-même. Au fait, il paraît que vous portez le même nom, qu’en hébreu, Josué = Jésus ! Etrange, non ?

    Jéricho

    Jéricho (Jos 6, 1-21) : premier obstacle que vous trouvez devant vous : c’est pratiquement la clé qui ouvre la porte de tout le pays. Mais vraiment, ton Dieu nous déroutera toujours ! Logiquement, quand on veut prendre une ville avec des remparts, ce sont les militaires qui font le travail. Autant que possible ils se camouflent ; ils amènent des engins de siège, tout un arsenal militaire, quoi ! Ici, rien de tout ça ! Dieu t’ordonne d’organiser une procession. Les hommes de guerre y sont mentionnés, mais n’auront aucun rôle dans la prise de la ville elle-même. Une fois de plus, les prêtres sont mis en valeur : portant l’Arche d’alliance, ils feront le tout de la ville six jour durant. Le septième jour, c’est sept fois que vous en ferez le tour et que, à la clameur du peuple, les remparts vont s’écrouler !

    Dis-moi franchement : à qui va-t-on faire croire cette légende ? Il paraît même, d’après les recherches archéologiques, que les fameux remparts de Jéricho étaient en ruine depuis au moins deux cents ans ! A moins que l’auteur ne veuille nous dire quelque chose de très important : « Ce pays, semble dire le Seigneur, vous ne le devrez pas à la force ce vos armes : c’est moi qui vous le donne et je vous demande de ne jamais l’oublier ! »

    Au point où j’en suis dans ma lettre, je suis obligé de laisser des pans entiers de ton histoire, en particulier tout ce qui concerne la répartition des tribus sur tout le territoire de Canaan : ce serait trop long et fastidieux. Je m’en tiendrai à deux problèmes ressortant du livre qui parle de toi, l’un, que nous avons encore beaucoup de mal à comprendre : la violence et les massacres qui y sont racontés, l’autre, qui maintenant est résolu mais qui nous a fait tant de mal : ce passage où il est dit que tu arrêta le soleil et la lune (Jos 10, 12-13).

    Que de violence dans ton histoire !

    Parlons d’abord de la violence : avoue que ça fait mauvais genre, ce massacre des gens de Jéricho, hormis Rahab la prostituée et sa famille (Jos 6, 22-25), la punition infligée à Akân (Jos 7, 1-26) parce qu’il avait violé l’interdit, le massacre des gens de Aï, (Jos 8, 1-29) et tant d’autres horreurs. Tu penses bien que je me suis informé pour comprendre ce que tout cela pouvait signifier. Certains spécialistes m’ont dit que la Bible est une histoire d’hommes, que la violence fait partie de cette histoire et que Dieu se révèle à travers l’histoire des hommes telle qu’elle est. Cacher la violence, c’est trahir l’histoire des hommes et donc trahir l’histoire de Dieu avec les hommes.

    D’autres spécialistes (et là, c’est plus pointu encore) disent que tous ces massacres n’ont jamais existé, que tous ces récits ont été écrits après l’Exil pour ceux qui en revenaient et pour leur dire : « Surtout ne vous mêlez pas aux gens du pays dont la religion était mâtinée d’idolâtrie ».

    Je suis bien incapable de trancher sur ces questions. Ce que je sais, dans ma foi, c’est que quelqu’un viendra prendre sur lui toute la souffrance humaine et l’habiter de sa présence : celui qui, comme je l’ai déjà dit, porte le même nom que toi : Jésus = Josué = Dieu sauve !

    As-tu vraiment arrêté le soleil ?

    Le deuxième problème que je voulais aborder avec toi c’est ce passage où il est dit que tu arrêtes le soleil et la lune. L’auteur a sans doute voulu dire : « il s’est passé tant de choses ce jour-là que c’était comme si le soleil s’était arrêté, comme s’il y avait eu deux jours en un » (Si [livre de Ben Sirac le Sage] 46, 4) Nous savons bien, depuis un certain Copernic, que c’est la terre qui tourne autour du soleil, et non l’inverse. Mais l’Eglise avait tellement pris la Bible au pied de la lettre que certains l’ont payé cher d’affirmer le contraire. Tu n’y es pour rien, naturellement, mais, à cause de la parole qu’on t’a prêtée, ce grand savant qu’était Galilée a été condamné, sans pour autant renoncer à ses convictions scientifiques (« Et pourtant, elle tourne ! »). Et il a fallu plus de quatre siècles pour que, enfin, l’Eglise le réhabilite ! Il y a des lenteurs difficiles à admettre.

    une touche de lumière : les villes de refuge

    J’ai peut-être peint un tableau un peu noir de ton installation et du peuple d’Israël en Canaan. Je voudrais ajouter cependant une touche de lumière : les villes de refuge (Jos 20, 1-9). Dans ce monde dur et sans pitié, où le sang appelle le sang, le meurtrier involontaire a le droit de se réfugier dans certaines villes et d’y être protégé jusqu’à son jugement : la violence jugulée par le droit, c’est quand même un progrès en humanité, non ?

    Ton testament : la fidélité à l’Alliance

    Pardonne-moi de terminer ma lettre en ne résumant qu’en quelques mots ton testament et l’Alliance renouvelée à Sichem (Jos 23 et 24).Comme toujours, dans un style qui nous déroute et parfois même nous choque, tu appelles Israël à se méfier des idoles des gens du pays, ; tu lui demandes de rester fidèle à l’Alliance, de « craindre » le Seigneur, c’est-à-dire de l’honorer comme celui de qui vient tout don et toute vie, de l’aimer en mettant librement toute sa force, toute sa volonté à son service. Ainsi il sera le témoin du Dieu vivant au milieu des nations.

    Cet appel que tu lances à ton peuple, comment les chrétiens n’auraient-ils pas à l’écouter à leur tour, en prenant à notre compte la triple réponse du peuple : « Nous servirons le Seigneur » (24, 21) - « Nous sommes témoins [d’avoir choisi le Seigneur pour le servir] » (24, 22) – « Nous servirons le Seigneur et nous écouterons sa voix » (24, 24) ?

    Merci, Josué, de ton inébranlable fidélité !

    Note pour une meilleure compréhension

    Les récits bibliques n’ont pas pour but de décrire des faits historiques ou scientifiques comme nous le faisons à notre époque. Leur « vérité » a pour objet Dieu, l’homme, la relation entre Dieu et les hommes, la relation entre les hommes liée indissolublement à la relation à Dieu. Si nous voulons être crédibles auprès de nos contemporains, il nous faut avoir le courage et la vraie prudence de le dire. Il y va de la crédibilité du message biblique lui-même, qui, comme depuis le commencement, passe toujours par une parole d’homme, en l’occurrence la nôtre. Cela suppose, de notre part, beaucoup de travail, d’échanges et d’humilité collective.