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  • Lettre ouverte… à Elie

    Mon cher Elie,

    Lors d’un voyage en Palestine, je suis allé au Mont Carmel. J’avoue avoir été choqué par la statue qui te représente une épée à la main pour massacrer 450 faux prophètes. Heureusement, dans la chapelle tout à côté, un beau motif doré rappelle un autre épisode de ta vie, moins triomphant mais plus humain : dans le désert, au comble du désespoir, tu es nourri par un ange. J’ai voulu m’informer un peu plus sur toi, puisque, nous le verrons, dans l’Evangile, tu tiens une place particulièrement importante.

    Le passionné du Seigneur

    Quel personnage étrange ! Tu entres dans l’histoire, à partir du chapitre 17 du premier Livre des Rois, sans te faire annoncer, et tu en sors de façon mystérieuse, au début du 2ème Livre des Rois (ch.2). Homme de partout et de nulle part, insaisissable, nourri par les corbeaux (1 R [1er livre des Rois] 17, 3-7), tu seras l’opposant majeur d’Akhab, roi d’Israël et de son épouse, étrangère et idolâtre, Jézabel (16, 29-33). Comme tu le dis toi-même (1 R, 19, 14), tu es « passionné pour le Seigneur » et tu es prêt à tout risquer pour lui, le Dieu d’Israël.

    Dieu d’Israël ? Dieu pour tous les hommes, oui ! puisque, dès le début de ton histoire, il t’envoie près d’une veuve étrangère de la ville de Sarepta, pour la sauver de la famine, elle et son fils (1 R 17, 8-24), pendant une grande période de sécheresse ; une seule condition : qu’elle te fasse confiance, à toi et au Seigneur ! Il lui en faut une bonne dose quand son fils vient à mourir et que tu lui promets de le ramener à la vie. Au fait, Jésus rappellera cette histoire dans la synagogue de Nazareth (Lc [Evangile selon Luc] 4, 25-26) ; ça lui vaudra d’être jeté dehors. Mais revenons à toi, à ton personnage.

    Le prophète de Yahwé

    Es-tu l’homme fort (1 R 18, 1-46), le prophète sûr de son Dieu, bravant le roi, la reine et ses faux prophètes ? Tu leur propose un défi : faire tomber du ciel le feu de Dieu sur les sacrifices que chacun aura préparé, mais quel Dieu ? Baal ou le Seigneur Dieu d’Israël ? Tu te défends bien dans ce rôle : à la fois moqueur à l’égard de Baal et de ses prophètes, et plein de respect et de confiance à l’égard du Seigneur ; il exauce doublement ta prière : ton sacrifice à toi est agréé (le feu du Seigneur Dieu d’Israël tombe sur lui) et la pluie vient, non comme une récompense mais comme un don gratuit de Dieu.

    Le témoin du Dieu Tout-Autre

    Ou bien es-tu cet être très humain, fuyant Jézabel, désabusé, amer en face de l’infidélité de ton peuple ? ( 1 R 19, 1-10) Pour pouvoir continuer ta route, il te faudra rencontrer Dieu sous un autre visage : non plus le Dieu fort et, disons le mot, violent de l’épisode précédent, mais un Dieu qui se cache dans « le bruit d’un silence ténu » (1R 19, 11-14). Comme Moïse, tu fais cette rencontre à l’Horeb, autre nom du Sinaï. Comme lui, tu te voiles la face au passage de Dieu, car on ne peut voir Dieu sans mourir.

    Tu es l’homme qui passe, celui qui, déjà, prépare ton départ vers ailleurs : tu désignes ton successeur, Elisée (1 R 19, 19-21), à qui je vais écrire prochainement. Comme tu es exigeant et dur avec lui ! Aussi exigeant que Jésus à l’égard de celui qui veut le suivre ! (Lc 9, 61-62 -)

    L’injustice : insulte à Dieu lui-même

    Ta mission sur cette terre, pourtant, n’est pas terminée. Tu dois encore une fois affronter Akhab. Son voisin Naboth (Lc 9, 61-62 -) possède une vigne qu’il tient en héritage de ses pères. Le roi, voulant se faire un potager, lui propose de la lui acheter. Naboth refuse : il ne peut se dessaisir d’un bien qui lui vient de la répartition des terres voulue par Dieu et qui s’impose au roi lui-même. Jézabel l’étrangère s’en mêle, monte un complot contre Naboth accusé d’avoir maudit Dieu et le roi, et le fait lapider. Tu interviens alors pour annoncer à Akhab que sa maison (sa famille), à cause du sang versé de l’innocent Naboth, perdra la royauté. Cependant, parce que Akhab semble se repentir, Dieu sursoit à l’exécution de ses menaces.

    Ton départ mystérieux

    Je passe sous silence ta confrontation avec Akhazias, fils d’Akhab (2 R [2ème livre des Rois] 1, 1-18), pour évoquer ton départ (2 R 2, 1-11). Tu sais que ce départ est proche. Tu voudrais bien que ça se fasse dans la discrétion, mais Elisée te colle aux basques : il souhaite avoir une part de ton esprit de prophète. Finalement, tu le lui accordes à condition qu’il te voie monter au ciel sur le char de feu. Et c’est bien ce qui se passe ! Le temps des prophètes n’est pas clos par ta disparition mystérieuse. Elisée poursuivra ton œuvre, et bientôt vont apparaître les prophètes écrivains, Amos, Osée, Isaïe, Jérémie et les autres.

    Ton retour tout aussi mystérieux

    La tradition voudra que ton retour annonce la fin des temps. L’Evangile y fait allusion, en particulier quand Jésus demande à ses disciples ce que les gens pensent de lui (Mt 16, 14). Au moment de la transfiguration de Jésus (Mt 17, 3), tu es présent sur la montagne, avec Moïse, mais tu disparais aux yeux des disciples, une manière de dire que, en Jésus, se trouve réalisé ce que Moïse et toi vous représentez : l’espérance millénaire du Peuple Elu. Une dernière fois, au Calvaire, il est question de toi ; comme dit Paul Beauchamp [1] « Elie a donné ce jour-là son dernier message : en ne montrant rien et en se taisant, Elie et Jésus se sont réunis ».

    Elie, tu restes auréolé de mystère, mais c’est pour mieux nous faire entrer dans le mystère de Dieu. Merci, Elie !

    Joseph CHESSERON