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  • Lettre ouverte à David (4)

    Mon cher David,

    A la fin de la troisième lettre que je t’ai adressée, nous nous sommes quittés au moment où tu fuyais (une fois de plus !), non plus devant un ennemi, mais devant ton propre fils, Absalom. Rude expérience pour un père ! En fin de compte, cela donne de toi une image plus humaine, plus proche de nous.

    Ta fuite et ton retour peu glorieux à Jérusalem

    Je ne vais pas raconter dans le détail toutes les péripéties de ta fuite et les stratagèmes utilisés par tes amis pour te prévenir des intentions d’Absalom (2 S 16, 15-23). Bref, tu organises la résistance (2 S 18, 1-17), tout en recommandant de ne pas faire de mal à Absalom : il reste quand même ton fils ! Le combat s’engage et c’est la victoire de tes troupes ! Absalom, chevauchant un mulet, s’enfuit dans la forêt, mais son abondante chevelure se prend dans les branches d’un térébinthe. Joab, ne tenant aucun compte de tes recommandations, l’exécute, le fait jeter dans une fosse et recouvrir d’un énorme tas de pierres.

    En apprenant cela, tu prends le deuil de ton fils (18, 19-19, 1-16), mais tu reçois de la part de Joab une telle algarade que tu consens à paraître en public pour réconforter le peuple. Les anciens d’Israël et ceux de Juda reviennent vers toi. Tu acceptes de franchir le Jourdain et de reprendre la route de Jérusalem. Au passage, tu pardonnes à un homme qui t’avait insulté durant ta fuite (2 S 19, 16-24). Entrant à Jérusalem, tu reçois, sans illusions, les protestations de fidélité de Mefibosheth, le fils de ton ami Jonathan (2 S 19, 25-31).

    Au cœur des difficultés, ta confiance sans borne dans le Seigneur

    Je dois à la vérité de dire que la fin de ton règne laisse une impression de tristesse, de désenchantement. Un ami de toujours (2 S 19, .32-41), qui t’a soutenu dans les moments difficiles, refuse de te suivre à Jérusalem, tirant prétexte de son grand âge. A l’occasion de la révolte d’un homme de la tribu de Benjamin (2 S 20, 1-22), Joab, bon général au demeurant puisqu’il réussit à mater cette révolte, en profite pour liquider traîtreusement un général rival, pourtant son cousin. Et puis cette sombre histoire de règlement de compte suite à une famine (2 S 21, 1-14) dont sont victimes les descendants de Saül : l’auteur a du mal à cacher ta responsabilité, au moins indirecte.

    Est-ce pour atténuer cette pénible impression que l’auteur insère ici un magnifique psaume qu’il t’attribue (2 S 22, 1-51) ? Tu y déploies tout ton art (auteur – compositeur – interprète, t’ai-je qualifié dans ma première lettre) pour célébrer la majesté de Dieu, le soutien qu’il t’a accordé dans toutes tes luttes et tes épreuves, pour clamer haut et fort que c’est le Seigneur qui t’a rendu fort contre tes ennemis. Ce langage guerrier nous heurte, mais n’est-ce pas la manière de ton temps pour dire que notre vie est une lutte sans fin contre le mal et que, sans le Seigneur, nous sommes perdus ? Tiens, ça me rappelle quelqu’un, qualifié de ‘Fils de David’ et qui a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire ».

    Tes derniers moments

    Le 2ème livre de Samuel se termine par une curieuse histoire mêlée (2 S 24, 1-25), de recensement que tu aurais décidé et que la population aurait peu apprécié, d’épidémie de peste dont le pays, grâce à ta prière, aurait été protégé et surtout d’une construction d’autel à l’emplacement même, dit-on (2 Ch [-2ème livre des Chroniques] 3, 1) où ton fils Salomon construira, à Jérusalem, le Temple qui portera son nom.

    Ta fin approche. Tu es devenu vieux. Où est le jeune homme fringant à qui rien ne résistait, ni lion, ni ours, ni philistin …ni femme ? Tu as toujours froid ; alors on trouve un curieux moyen pour te réchauffer (1 R [1er livre des Rois] 1, 1-4), conforme à ce que l’Ecclésiaste conseille (Qo [Qohéleth ou Ecclésiaste] 4, 11) : on va chercher une jolie fille pour tenir lieu de femme, Avishag, la Shounamite, dont la Bible dit, pudiquement, que tu ne la connus pas.

    On en peut pas dire que ta fin soit calme et paisible ; les intrigues de palais s’en donnent à cœur joie !. Ton fils aîné Adonias fait valoir ses prétentions au trône (1 R 1, 11-40), mais le clan de Nathan et de Bethsabée réagit aussitôt et t’extorque la désignation de Salomon comme ton successeur. Le complot d’Adonias tombe à l’eau (1 R 1, 41-53) ; ses partisans se dispersent et la grâce que Salomon accorde à son frère est lourde de menaces.

    Tes dernières recommandations (1 R 2, 1-9) ne versent pas dans la tendresse. Tu as beau recommander à ton fils Salomon de marcher sur les chemins du Seigneur et de garder ses lois, les vieux comptes que tu n’as pas pu ou pas voulu solder, tu les lui confies. Il ne manquera pas de suivre tes conseils, et largement !

    C’est très sobrement, en deux versets (1 R 2, 10-11), que la Bible parle de ta fin. Tu as régné quarante ans : chiffre réel ou symbolique ? Va savoir !

    Roi musicien, chantre de Dieu

    Tu trouves peut-être que j’ai tracé de toi un portrait plutôt mêlé, voire contrasté. Ce que tu as été réellement, nous ne pouvons pas le savoir exactement, puisque le « mode de conservation » des faits n’était pas le même de ton temps qu’aujourd’hui. Tu as dû être un jeune homme plein d’ambition, capable de violence et d’amitié, de vengeance et de pardon, parfois lâche, le plus souvent courageux, sachant à la fois attendre ton heure et forcer le destin, succombant aux charmes des femmes et capable de devenir lucide à l’égard de toi-même. Tu as exercé le pouvoir et tu en as subi les aléas. Ta fin, comme beaucoup de rois, ne fut pas très glorieuse et te ramène à ta vraie dimension, celle d’un homme, un homme de chair et de sang et c’est en cela que nous nous sentons proches de toi.

    Maintenant, l’image dont les auteurs ont voulu laisser de toi, je laisse aux spécialistes le soin d’en dessiner le contour précis. Personnellement, je ne voudrais retenir de toi que l’homme pécheur, conscient de sa faute et qui remet sa vie entre les mains d’un Dieu capable de pardonner.

    Merci, David, roi musicien, chantre de Dieu ! Qui que tu sois, ton lointain descendant, Jésus, le Messie, portera ton nom : « Fils de David » !

    Note pour une meilleure compréhension

    Le moment est sans doute venu de préciser ce qu’on appelle une lecture « fondamentaliste » de la Bible. Il y a de multiples manières d’aborder ce livre, (Le Livre !). On peut être plus sensible à la question de l’historicité des textes, à leur composition, ou à la manière de raconter. Les uns s’attacheront à l’aspect social d’un certain nombre de prescriptions, d’autres s’efforceront de voir comment la femme y est traitée. Toutes ces approches sont légitimes. La Bible ne demande qu’interprétation. Ne disons pas à propos d’un texte : « Qu’est-ce qu’il ’veut’ dire ? » mais « Que donne-t-il à penser ? » car les réponses ont été, sont et seront le plus souvent multiples. Ma lecture de la figure de David est une parmi d’autres, peut-être pas la meilleure ! Par contre, une lecture « fondamentaliste » ‘oblige’ à ne comprendre que ce que dit la lettre. Elle interdit de penser autre chose. C’est, comme dit la Commission Biblique Pontificale, « un suicide de l’esprit ». On sait où conduisent les « fondamentalismes » de tous bords ; du refus de la liberté de conscience chez les intégristes catholiques aux Talibans afghans réduisant la femme en esclavage, il y a une différence de degré, non de nature de la démarche. « La vérité vous rendra libre », dit Jésus, dans la mesure où on la cherche, où on l’accueille comme un don de Dieu et où on ne s’en considère pas propriétaire.

    Joseph CHESSERON