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  • Les ouvriers de la 11ème heure (Matthieu 20, 1-16)

    En quelques versets, la parabole transporte le lecteur dans la Palestine du 1er siècle à la saison des vendanges.

    PNGNous pouvons imaginer des personnes désœuvrées, affalées sur la place du village, écrasées par le soleil de l’été finissant. Elles espèrent tout de même une embauche, car il faut bien nourrir la famille. Les ouvriers seront payés à la journée, au minimum forfaitaire d’un denier, à la merci des fantaisies de l’employeur. Exagérant ce dernier aspect, la parabole rapporte un cas choquant du point de vue de la justice sociale.

    Mais elle insinue précisément ceci : à côté de l’équité sociale, il y a la justice du cœur : si les deux se concilient avec peine dans les rapports humains, il n’en va pas ainsi pour Dieu. Et certaines gens feraient bien de se rendre compte que leur relation à Dieu n’est pas celle d’un employé jaloux de ses droits à un employeur.

    La première partie du récit (versets 1 à 7) prépare le conflit. La vigne a dû produire au-delà des prévisions, puisque le maître sort toutes les 3 heures à la recherche de nouveaux bras. Au premier renfort, il promet « ce qui est juste », et l’on comprend par là un salaire journalier amputé de quelques heures. Un dernier groupe se met à l’ouvrage une heure avant la fin du travail. Leur argument « personne ne nous a embauchés », vaut ce qu’il vaut. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne rempliront pas la marmite avec le prix d’une heure de travail.

    Avec la 2ème partie (versets 8 à 15), à l’heure des comptes, le conflit éclate : les derniers venus empochent autant que les premiers embauchés. Ceux-ci protestent par la bouche d’un plus hardi. Le maître rétorque qu’en leur donnant le salaire convenu, il ne les lèse en rien, mais que, seul propriétaire de son argent, il a la volonté de donner aux derniers autant qu’aux autres.

    Ce dialogue, clé de la parabole, s’achève par une fine question laissée en suspens : au fond, « le problème n’est-il pas celui de la jalousie, le fait que tu t’estimes valoir plus qu’eux et que tu n’acceptes pas ma bonté gratuite à leur égard ! »

    Ainsi la parabole vise des gens qui ont une réaction comparable à celle du fils aîné de l’histoire de l’enfant prodigue (cf Luc 15, 25-32).

    Il y a fort à penser qu’en Matthieu 20, 15 se terminait la parabole originelle qui, peut-être, s’adressait aux pharisiens, comme les paraboles de Luc 15. Jésus veut leur montrer que la bonté de Dieu dépasse les catégories humaines de la rétribution conçue comme un salaire dû, sans pour autant verser dans l’arbitraire qui méconnaît la justice. Il invite à ne plus se montrer jaloux devant la libéralité de l’Amour de Dieu. Ça n’est pas parce qu’il sauve les pécheurs que Dieu enlève quelque chose à ses fidèles !

    Ajoutée probablement à la parabole originelle (verset 15), la parole de Matthieu en 20, 16, qu’on retrouve ailleurs en un autre contexte (19,30), souligne un trait épisodique sur l’ordre de la distribution des salaires (20, 8) et correspond à une nouvelle situation, celle de l’Eglise de Matthieu. Les païens appelés sur le tard sont venus avant les Juifs appelés les premiers. Quelques manuscrits ajoutent : «  Car la multitude est certes appelée, mais peu sont élus ». Cette parole, empruntée à 22,14, semble supposer que les premiers appelés (les Juifs) ont refusé le denier et que, seuls, les ouvriers de la onzième heure ont accepté.

    Père Jean-Marie Loiseau
    Jeudi 16 mai 2019