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  • Ce matin, je voudrais m’arrêter quelques instants sur le livre de Job, en général, et sur le texte que la liturgie nous propose en particulier.

    Le livre de Job est un texte difficile, qui s’exprime dans un langage qui n’est plus le nôtre, dans une conception du monde qui n’est plus le nôtre.
    Alors, me direz-vous, pourquoi perdre son temps avec ce vieux texte ?
    Tout d’abord, parce que c’est l’Église, dans la sagesse de sa Tradition, qui nous dit que Dieu nous parle à travers cette série de poèmes. Et ensuite, parce que ces poèmes sont porteurs d’une des plus grandes questions de l’humanité, celle de la souffrance du Juste.

    À lire sans recul certains libres bibliques, en particulier certains psaumes, les choses sont simples : ici-bas, les bons sont récompensés et les mauvais sont punis. Or justement, tout le livre de Job vient contredire ça. C’est un grand cri de souffrance pour protester contre le sort injuste qui lui est infligé. Il hurle à la face de Dieu qu’il n’a rien fait de mauvais dans toute sa vie. Sa femme et ses amis veulent le convaincre qu’il y a en lui du mal caché, et que, de toute façon, il n’a qu’à se soumettre à la volonté de Dieu.

    Job ne l’entend pas de cette oreille. Il en vient même à maudire le jour de sa naissance. Mais, en faisant cela, il maudit le Dieu qui lui a donné la vie. Apparemment, Job en arrive au blasphème. Or, la réponse de Dieu est surprenante. Il commence par rappeler que les chemins de Dieu ne sont pas les chemins des hommes, et que l’homme n’a pas à s’ériger en juge de Dieu. Mais, et c’est là le plus étonnant, il ferme la bouche des interlocuteurs de Job. Il les traite d’insensés et ajoute : « Seul mon serviteur Job a bien parlé de moi. »
    Or rappelez-vous ce qu’a dit Job : il a maudit Dieu. Mais quel Dieu a-t-il maudit, sinon un Dieu qui n’est pas le vrai Dieu, le Dieu justicier qui récompense et qui punit, qui, en définitive, ne tient pas compte de l’homme dans sa souffrance et dans le mal qui est en lui.

    Quand on a fermé le livre de Job, on reste sur sa faim. Il ne donne pas de réponse à la grande question de la souffrance du juste, pas plus qu’il ne donne une bonne réponse à la question de l’existence du mal. Mais, vous le savez, la Bible est un tout. Si les réponses aux questions ne sont pas dans le livre de Job, peut-être sont-elles ailleurs.
    À la fin du récit de Caïn et d’Abel, il est dit que Dieu met un signe sur le front de Caïn, non pour lui infliger le remords éternel comme l’a prétendu V. Hugo (l’œil était dans la tombe et regardait Caïn), mais pour le protéger de la vengeance des hommes. Dans ce récit, Dieu brise le cercle vicieux de la violence.
    Et puis vous connaissez tous ces paroles de l’Écriture : Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive. Ou encore, le Seigneur est un Dieu de tendresse, lent à la colère et plein d’amour…Ou encore le pardon accordé à David qui avait commis l’adultère avec Bethsabée et fait tuer son mari.
    Bien évidemment, il nous faut ouvrir l’Évangile. J’aime beaucoup cette parole d’un poète chrétien français : « Jésus n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer : il est venu la remplir de sa présence. »
    Lui-même est allé au plus loin de la souffrance humaine, au plus loin de l’abaissement rappelé par Paul dans la lettre aux Philippiens que nous reprenons à chaque fête des Rameaux.
    Le dernier mot de Dieu dans la grande question de la souffrance du juste, c’est Jésus lui-même qui prend sur lui le mal, le péché, la souffrance du monde.

    Revenons-en enfin au texte d’aujourd’hui. Combien de gens peuvent se retrouver dans la longue plainte de Job, les jours sans fin, les nuits sans sommeil, la souffrance lancinante, la solitude… Un homme politique a dit un jour que nous ne pouvons pas porter toute la misère du monde. Ce n’est pas ce qui nous est demandé. Ce sera déjà bien si, à l’invitation de Paul, nous portons les fardeaux les uns des autres, si nous sommes sensibles à la plainte de ceux qui nous entourent, s’ils savent trouver chez nous attention et écoute.
    Je disais à l’instant que Jésus est venu prendre sur lui le poids de la souffrance humaine, mais, aujourd’hui, il ne peut rien faire sans nous.

    Comme le disait un écrivain anonyme du 14ème siècle :

    Notre Dieu n’a pas de mains ;
    il n’a que nos mains pour construire : le monde d’aujourd’hui.

    Notre Dieu n’a pas de pieds : il n’a que nos pieds pour conduire
    les hommes sur son chemin.

    Notre Dieu n’a pas de voix : il n’a que nos voix pour parler
    de Lui aux hommes.

    Notre Dieu n’a pas de forces : il n’a que nos forces pour mettre
    les hommes à ses côtés.

    Nous sommes la seule Bible que les hommes lisent encore.
    Nous sommes la dernière parole de Dieu, l’Évangile qui s’écrit aujourd’hui.

    Je vous laisse une dernière image. Dans l’église N.D. de Chauvigny, dans la Vienne, il y a une fresque de « Portement de Croix ». Derrière le Christ il y a, portant la Croix comme lui, un certain nombre de personnages plus ou moins importants (papes, évêques, rois, bourgeois…) Tout au bout de la Croix, un enfant tend la main tant qu’il peut pour la toucher et la porter.

    Peut-être sommes-nous cet enfant…

    Joseph Chesseron
    Homélie du 7 février 2021 - Le livre de Job