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  • Histoire des Evangiles

    II- Elaboration des récits

    Au matin de la Pentecôte, Pierre et ses compagnons n’ont pas du tout l’intention de « fonder une nouvelle religion ». Pour eux, Jésus, jusque dans sa résurrection, accomplit ce qu’avaient annoncé les Ecritures. On reste à l’intérieur de la religion juive. La seule Ecriture reconnue était celle qui était lue à la Synagogue.

    Par ailleurs, nul n’éprouve le besoin de mettre par écrit les paroles et les actes de Jésus, que tout le monde connaît et les témoins sont là, toujours vivants. De plus, chacun est persuadé qu’il vit les derniers temps de l’histoire : le Messie n’a-t-il pas annoncé son retour pour bientôt ? Paul lui-même, environ 20 ans plus tard, écrit aux chrétiens de Thessalonique : « Nous, les vivants, nous qui serons encore là pour l’Avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis ». (1Th 4, 16)

    Raconter, un besoin vital

    Cependant, ces témoins des premiers jours veulent faire connaître la Bonne Nouvelle au plus grand nombre. Cette prédication missionnaire, au départ, n’insiste pas sur les faits et gestes de Jésus. Elle se résume à ce que proclame Pierre à la Pentecôte : « Ce Jésus qui a été mis à mort, Dieu l’a ressuscité : convertissez-vous ». Ce n’est que plus tard que les nouveaux convertis ont voulu savoir plus en détail comment a vécu celui qu’ils nomment désormais le Seigneur.

    La Communauté s’agrandit. Il faut instruire les nouveaux croyants. C’est ce qu’on nommera plus tard la catéchèse : on rappelle les nombreuses paroles de Jésus, ses consignes de vie : aimer, pardonner, partager avec les plus pauvres, respecter son conjoint, toutes choses qui doivent imprégner la vie de celui qui se réclame de lui. Mais Jésus ne n’est pas contenté de parler. Les témoins l’ont vu vivre, soulager les misères, guérir les malades, être accueillant envers ceux que tout le monde méprise (cf Zachée Lc 19, 1-10), être libre par rapport au sabbat …Ce désir de se rapporter à ce que Jésus a fait et dit est à l’origine des premiers récits.

    Il faut rappeler que les premiers chrétiens sont juifs. Ils participent à la prière du Temple (Ac 3, 1 [Pierre et Jean montent au Temple pour prier]) ; ils vont à la synagogue. Mais peu à peu s’organisent de nouvelles formes de prière. Les Actes des Apôtres rapportent que les premiers chrétiens se réunissaient « dans leurs maisons » pour des repas fraternels ; au moins une fois par semaine. On y priait à manière des juifs (chants et prières, lecture et commentaire de l’Ecriture) et on terminait par la bénédiction eucharistique du pain et de la coupe, à la manière du dernier repas du Seigneur tel que Paul le rappelle aux chrétiens de Corinthe (1 Co 11, 23-25). D’autres paroles et gestes de Jésus sont rapportés lors de ces rencontres de prière et ces récits portent la marque du cadre cultuel dans lesquels ils ont été élaborés.

    Il faut enfin veiller à vivre ensemble suivant les consignes du Maître. Tout naturellement, on se rappelle les tensions qui ont existé dans le groupe des disciples et ce que Jésus a dit dans ces occasions (cf Mc 9, 33-37 : « qui est le plus grand » ?) On se souvient des consignes qu’il donne pour gérer les conflits dans la communauté (Mt 18, 15-17).

    Cet effort de mémoire est à l’origine de tous ces récits et collections de paroles qui se sont peu à peu élaborés, par oral puis par écrit, dans des communautés d’origine et de composition diverses. Ils ont été utilisés pour répondre à des questions et à des besoins différents suivant ces communautés.

    Les garanties de fidélité

    S’il a fallu du temps pour en arriver aux premiers écrits, si la transmission s’est faite d’abord par oral et si les faits et les paroles ont été rapportés pour répondre aux besoins des communautés, n’est-on pas en droit de mettre en doute la vérité de ces récits ? Est-ce que ce ne sont pas des inventions pures et simples ? Certains ont prétendu qu’il était impossible, à travers le texte des Evangiles, de rejoindre la vérité historique sur la personne de Jésus.

    C’est oublier que ces premières communautés n’étaient pas des groupuscules inorganisés. Dans ses lettres (qui sont antérieures aux textes des Evangiles), Paul rappelle que l’Eglise est un corps et que ce corps est un ensemble structuré. « Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part. il en est que Dieu a établis dans l’Eglise, premièrement comme apôtres, deuxièmement comme prophètes, troisièmement comme docteurs… » (1 Co 12, 27-28).

    Si nous devons chercher une garantie de vérité, c’est bien dans l’institution des apôtres qui, en lien avec les Douze, passent d’une communauté à l’autre pour assurer l’unité de l’Eglise. En d’autres termes, l’Eglise, dès le départ, s’est donnée les moyens pour que, en son sein, on ne dise pas n’importe quoi à propos de Jésus. C’est ce qu’on a appelé la « tradition apostolique ». Les récits peuvent varier sur les détails, les leçons à tirer peuvent être différentes, sur le fond, cette « tradition apostolique » garantit qu’ils sont fidèles à l’enseignement du Maître.

    Les premiers recueils

    Soyons clairs : nous ne possédons pas et nous ne posséderons jamais les premiers recueils de paroles et de gestes de Jésus. Nous n’en connaissons pas plus la date de rédaction. Les Evangiles, du point de vue chronologique, ne sont pas les premiers écrits chrétiens ; ce sont les lettres de Paul, la plus ancienne étant la 1ère lettre aux Thessaloniciens. Dans l’état actuel de la recherche, la plupart des spécialistes s’accordent pour dater l’Evangile de Marc aux environs de 70 (peu avant ou peu après la prise de Jérusalem par les Romains), les Evangiles de Matthieu et de Luc vers 85 et celui de Jean vers 95.

    Laissons pour l’instant l’Evangile de Jean : tant par le plan que par le style, il est très différent des trois autres, que l’on appelle « Synoptiques » parce que leur ressemblance est telle qu’on peut les lire d’un seul regard. Effectivement ils se ressemblent, mais il y a des différences notables : structure différente, épisodes ou paraboles présents dans l’un et pas dans l’autre (seul Luc rapporte l’histoire de Zachée ou la parabole de l’enfant prodigue…).

    L’hypothèse la plus communément admise, mais pas entièrement satisfaisante, serait que l’Evangile de Marc aurait servi de source commune, qu’une autre source aurait servi de complément à Matthieu et à Luc et que Luc aurait disposé d’une source particulière.

    Ce qui est sûr, c’est que, dès la première moitié du 2ème siècle, il existe des témoignages irréfutables de l’existence des textes évangéliques tels que nous les connaissons. Nous y reviendrons dans le prochain article, quand nous parlerons de « la rédaction des Evangiles ».

    Joseph CHESSERON