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  • LES DISCIPLES DANS L’EVANGILE DE MARC

    Commentaire

    Présentation négative des disciples

    La liturgie du dimanche ne peut pas faire autrement que de proposer des textes courts, des extraits de tel ou tel livre biblique. Inconvénient : nous avons de la peine à voir l’ensemble du message que l’auteur veut proposer à son lecteur. Par exemple, nous apercevons de temps en temps les difficultés de foi des disciples dans l’Evangile de Marc. Or c’est tout au long du texte qu’elles apparaissent. Si l’auteur insiste tellement sur ce point, c’est bien qu’il a un message à faire passer. C’est ce que nous allons essayer de découvrir.

    Il serait bon que le lecteur ait sous les yeux les textes proposés dans le précédent article. Nous avons mis en caractères italiques l’appel des premiers disciples et leur envoi en mission à la fin de l’évangile. Ce sont pratiquement les seuls moments où les disciples sont présentés sous un jour favorable : ils acceptent sans hésiter de suivre Jésus (Mc, 1, 16-20) ; ils obéissent à l’ordre du Christ ressuscité d’aller prêcher l’Evangile dans le monde entier (Mc 16, 20). C’est seulement à la fin, sans que le texte le dise expressément, qu’ils comprennent et ils accèdent à la foi, puisqu’ils acceptent d’aller porter la Bonne Nouvelle.

    Entre les deux moments, il y a un long chemin de ténèbres où, sans cesse, il sera dit qu’ils ne comprennent pas et n’ont pas la foi, même si Jésus les associe à son œuvre en les envoyant en mission (Mc 6, 6-13) ou en les faisant participer à la multiplication des pains (Mc 6, 35-44 ; 8, 1-10).

    Est-ce donc que Jésus se serait trompé en choisissant ses disciples ? Ne serait-ce pas plutôt un procédé utilisé par Marc pour délivrer un message à ses lecteurs ?

    Message à ses premiers lecteurs

    Marc semble dire à la communauté chrétienne de Rome qui va lire son texte : « vous avez accepté de suivre Jésus, d’être ses disciples. Gardez-vous d’être comme ceux de l’Evangile » :

    - croyez que Jésus est plus fort que toutes les forces du mal. C’est par sa mort et sa résurrection qu’il est vainqueur (la tempête apaisée et la marche sur la mer en sont le symbole) ;

    - ce ne sont pas les aliments ou les choses extérieures qui rendent impurs mais le mal qui sort du cœur de l’homme (discussion sur le pur et l’impur) ;

    - n’en restez pas à l’aspect matériel des choses pour comprendre les miracles de Jésus (les deux récits de multiplication des pains) ;

    - ne faites pas comme Pierre qui croit que Jésus est le Messie mais qui n’accepte pas que ce Messie souffre et meure (il se fait traiter de satan, c’est-à-dire de tentateur) ;

    - ne soyez pas comme les disciples qui ne comprennent ni n’acceptent l’annonce de son arrestation, de sa mort et de sa résurrection trois jours après ;

    - ne cherchez pas à savoir qui, parmi vous, est le plus grand : c’est celui qui se fait le serviteur de tous, à l’image de Jésus lui-même ;

    - acceptez que des gens qui ne font pas partie officiellement de votre groupe témoigne de Jésus en chassant le démon en son nom ;

    - Au cœur de l’épreuve, tenez bon, restez fidèles, contrairement aux disciples qui ont fui (l’Eglise de Rome subissait alors la persécution de Néron) ;

    - Accueillez la parole de ceux qui le disent vivant aujourd’hui parce qu’ils l’ont rencontré au cœur de leur vie.

    Tout au long de l’Evangile, de vrais disciples

    En marge des disciples reconnus comme tels mais à qui Jésus reproche leur manque de foi, apparaissent tout au long de l’Evangile des personnages présentés comme ayant une foi capable de surmonter l’impossible, mais qu’on ne voit qu’une fois. Retenons-en quelques uns :

    - Les quatre anonymes (Mc 2, 2-5) qui font passer un paralysé par le toit de la maison. Jésus voit leur foi.

    - Le possédé de Gérasa (Mc 5, 1-20) que Jésus délivre, qui veut rester avec lui et qui va proclamer partout ce que Jésus lui a fait.

    - Jaïre dont Jésus ressuscite la fille, en lui demandant seulement d’avoir la foi, et la femme atteinte d’hémorragie que Jésus guérit, en disant : « Fille, ta foi t’a sauvée… » (Mc 5, 21-43).

    - La femme de Tyr (Mc 7, 24-30) demandant la guérison de sa fille, en disant que les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table des enfants ; Jésus la félicite de sa grande foi.

    - Bartimée l’aveugle de Jéricho (Mc 10, 46-52), qui brave les rebuffades de la foule pour crier sa confiance en Jésus ; même formule : « Va, ta foi t’a sauvé ».

    - La femme de Béthanie (Mc 14, 3-9) qui lui verse de l’huile parfumée sur la tête ; Jésus la félicite : « D’avance, elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement ».

    - Et surtout le centurion qui, juste après la mort de Jésus, (Mc 15, 39) déclare : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu », répondant ainsi à la question qui court tout au long du texte : « Quel est donc cet homme ? ».

    Ces personnages sont autant de lumières qui balisent le chemin du croyant.

    Le vrai disciple selon Marc, aujourd’hui comme hier ?

    Quand il est arrivé à la fin de l’Evangile de Marc, le lecteur qui veut être disciple de Jésus est invité, pour ainsi dire, à refaire le parcours, à relever tout ce que les disciples ont raté, à voir quels pièges il doit éviter. Il est aussi invité à repérer ces lumières semées tout au long du chemin.

    Dans l’histoire de tous ces personnages, il y a toujours un obstacle apparemment insurmontable, de la foule qui empêche les quatre anonymes de passer, au centurion qui proclame Jésus Fils de Dieu alors qu’il vient de mourir, en passant par Bartimée qu’on veut faire taire ou la femme de Béthanie qu’on accuse de gaspillage.

    Le vrai disciple jette toute sa vie entre les mains de Jésus. Il ne s’agit plus d’adhérer à une doctrine, mais, comme Bartimée, d’abandonner toute protection humaine, de quitter tout pour mettre ses pas dans celui qui, seul, nous fait voir, c’est-à-dire croire. C’est accepter d’entrer dans un monde où les hiérarchies sont renversées (l’enfant présenté comme modèle). C’est tourner le dos à un Messie glorieux et donner sa foi à l’homme pendu à la croix.

    En définitive, la prière du vrai croyant, du vrai disciple, n’est-elle pas celle du père du jeune possédé (Mc 9, 24) : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » ?

    Joseph CHESSERON