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  • Ce matin, de tous ces textes très riches que la liturgie nous propose, je ne vais retenir que la dernière phrase du passage de la lettre de Paul aux Colossiens : « Il n’y a plus de Grec et de Juif, d’Israélite et de païen, il n’y a pas de barbare, de sauvage, d’esclave, d’homme libre, il n’y a plus que le Christ : en tous, il est tout. ».

    Dans toutes ses lettres, ce que Paul ne supporte pas, en raison du Christ, ce sont les divisions entre les hommes. Paul parle pour son temps. Il décrit les divisions qu’il a sous les yeux. Divisions au sein même de la communauté chrétienne, comme à Corinthe ; divisions de race dans un même pays : Grec ou Juif ; divisions de religions : Israélites et païens ; divisions entre autochtones et étrangers, qualifiés de barbares et de sauvages ; divisions de conditions sociales : esclaves ou hommes libres. Dans la lettre aux Galates, il ajoute même : « il n’y a plus l’homme et la femme, car tous vous n’êtes plus qu’un en Christ. »

    Il nous est facile d’actualiser la liste de Paul. Nous sommes témoins tous les jours de la difficulté du « vivre ensemble » dans notre propre pays. Il n’est que d’évoquer la crise non résolue des Gilets Jaunes, les problèmes des jeunes de banlieues ou la question des migrants. Certains font tout pour exacerber les tensions, jeter de l’huile sur le feu, mettant à mal tout ce que peuvent faire les associations, de quartiers ou autres.

    Pour ce qui est de la religion, la réalité est compliquée. Nous avons heureusement dépassé l’opposition catholiques-protestants, encore qu’il y ait bien des progrès à faire dans certains milieux catholiques. Malheureusement, une grande partie de nos compatriotes, même s’ils se reconnaissent souvent en lien avec le christianisme, sont surtout indifférents. D’autres, en particulier l’immense majorité des musulmans, ne demandent qu’à vivre paisiblement leur religion. Il suffit d’une infime minorité d’islamistes radicaux, qui, la plupart du temps, sont ignorants de la religion qu’ils affichent, pour semer la zizanie et jeter le discrédit sur toute démarche religieuse.

    Du temps de Paul, l’empire romain tenait en respect les populations du nord de l’Europe. On les qualifiait de barbares, pas dans le sens que nous donnons à ce mot aujourd’hui, mais dans le fait qu’ils ne parlaient pas la langue commune de l’empire : le grec. Viendra un temps où l’empire ne pourra plus les contenir. Des historiens parleront d’invasions. Il n’est pas sûr que l’image soit juste. Parlons plutôt de pénétration lente, d’influences réciproques, donc d’enrichissement mutuel. Ce n’est ni le lieu ni le moment de développer cela. Parlons de mondes différents qui vont se fondre pour former la société du Moyen-âge, réalisant en partie ce que déjà Paul souhaitait : l’atténuation des divisions entre les peuples.

    La grande nouveauté apportée par Paul, la nouveauté radicale, c’est qu’il construit cette unité entre les hommes sur le Christ. Je reprends la phrase : « Il n’y a plus de Grec et de Juif, d’Israélite et de païen, il n’y a pas de barbare, de sauvage, d’esclave, d’homme libre, il n’y a plus que le Christ : en tous, il est tout. ». La mission que le Père a confiée au Christ, c’est de rassembler tous les hommes en son corps.

    Dans notre foi, nous connaissons le chemin pris par le Christ pour réaliser sa mission. Son chemin est un chemin d’homme décrit dans la lettre de Paul aux Philippiens lue le Dimanche des Rameaux, (je n’en cite qu’une phrase) : « Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout… ».

    Nous ne méprisons aucune démarche religieuse, quand nous disons que, pour être chrétien, il ne suffit pas de dire que l’on croit en Dieu, en une sorte de force au-dessus de nous qui décide de toute éternité de notre destin ; ça, c’est du déisme, mais pas du tout la foi au Christ. Etre chrétien, c’est croire que, en Jésus, le Très-Haut est devenu le Très-Bas. En Jésus, le Tout Autre fait cause commune avec nous. En Jésus, nous ne sommes plus des serviteurs, mais des amis ; plus encore, comme dit la lettre aux Hébreux (2, 11), il n’a pas honte de nous appeler ses frères.

    Cette fraternité en Christ, ou pour employer une autre image, ce rassemblement de tous dans l’unique Corps du Christ, elle est offerte à tous. Nous allons bien au-delà d’un simple altruisme, d’un simple souci des autres, déjà respectable. Nous sommes là au cœur même de notre foi, donc de notre relation avec le Dieu de Jésus Christ, et donc de notre fraternité fondamentale avec tout être humain.

    La conséquence, c’est que, à cause du Christ Frère Universel, nul être humain n’est pour nous un étranger. Il revient donc aux chrétiens, au nom de leur foi, d’être aux avant-postes dans la lutte contre toute forme de racisme, de xénophobie et de toute exclusion. L’Eucharistie que nous célébrons n’est pas seulement sacrement de communion entre chrétiens ; c’est sacrement de communion avec l’humanité tout entière pour laquelle Jésus a donné sa vie et qu’il rassemble dans son amour.

    Joseph Chesseron