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  • 4ème conférence : Deuxième partie du discours d’ouverture Du Concile Vatican II, du Pape Jean XIII

    Quatrième Conférence

    Deuxième partie du discours d’ouverture
    Du Concile Vatican II, du Pape Jean XIII

    Introduction :

    Nous avons fait un long parcours historique pour découvrir tous les courants et événements qui ont lointainement ou immédiatement préparé ce 21ème Concile œcuménique. Le travail de préparation a été mené avec efficacité et compétence, encouragé par le Pape qui souhaitait que le Concile se tienne le plus rapidement possible. Il se savait malade et n’ignorait pas que l’issue pouvait être rapide. Ce 11 octobre et cette ouverture arrivent donc comme un moment privilégié où, par la force de l’Esprit-Saint, tout devient possible. 2540 Pères ont pu se réunir dans la basilique St Pierre. Hélas, l’Église du Silence est absente, la plupart de ses évêques n’ont pu recevoir le visa leur permettant le voyage ! Malgré les malheurs menaçants, Jean XXIII prend résolument le parti de l’Espérance. Il invite les Pères à faire le même approfondissement spirituel de l’événement. Mais le « Bon Pape » invite surtout à l’espérance dans notre humanité. Il invite au dialogue avec le monde contemporain…Nous allons continuer notre lecture de son discours, qui nous ouvre aux divers chantiers que Jean XXIII voudrait voir aborder par ce Concile Œcuménique !

    LA PRINCIPALE TÂCHE DU CONCILE : DÉFENDRE ET PROMOUVOIR LA DOCTRINE

    Ce qui est très important pour le Concile œcuménique, c’est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d’une façon plus efficace.

    Cite céleste et cité terrestre.

    Cette doctrine embrasse l’homme tout entier, dans son corps et dans son âme, et elle nous demande d’être sur terre des pèlerins en route vers la patrie céleste.
    Nous voyons par là que cette vie mortelle doit s’orienter de telle façon que, en accomplissant nos devoirs à l’égard de la cité terrestre et de la cité céleste, nous puissions parvenir à la fin que Dieu a voulue pour nous. Cela veut dire que tous les hommes, soit individuellement, soit collectivement, ont le devoir de tendre constamment et pendant toute leur vie à l’obtention des biens célestes. Et l’usage qu’ils font des choses de la terre doit être ordonné à cette fin, en veillant à ce que les biens temporels ne mettent pas en danger leur bonheur éternel.
    Le Christ Notre-Seigneur ne nous a-t-il pas dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice ? » (Matth., 6, 33.) « D’abord », cela veut dire que nos énergies et nos pensées doivent tendre avant tout à cela. Cependant, il ne faut pas oublier ce que le Seigneur nous dit ensuite : « Et tout le reste vous sera donné par surcroît. » (Ibid.) Il y a toujours eu et il y a encore dans l’Église des gens qui, tout en aspirant de toutes leurs forces à la perfection évangélique, se rendent en même temps utiles à la société. Leur vie exemplaire et leurs actes de charité sont en effet une grande force et un important facteur de développement pour ce qu’il y a de plus haut et de plus noble dans la société humaine.

    Jean XXIII donne une des priorités de ce Concile, traduire dans un langage, que le monde contemporain peut comprendre, sans pour autant en diminuer la valeur le « dépôt sacré de la Doctrine chrétienne ». Tout au long du discours cette alternative binaire va rythmer son discours. Tenir fermement la vérité dans son intégrité mais la rendre accessible aux hommes du monde d’aujourd’hui. La doctrine concerne l’homme tout entier dans « son corps et dans son âme ». Dans sa doctrine l’Église ne privilégie pas un aspect de l’humain au détriment de l’autre les deux axes de la théologie sont la théologie et l’anthropologie, ou pour prendre une autre terminologie la dogmatique et la morale. L’analyse du Pape fait appel aux catégories de saint Augustin : la cité terrestre et la cité céleste. Pourtant, il me semble, que Jean XXIII fait davantage allusion à la « Lettre à Diognète », texte très ancien, écrit au IIème siècle (vers 190), on ne connaît pas l’auteur de cette lettre, seulement le nom du destinataire ! Elle nous donne un instantané sur la vie des chrétiens 160 ans après la mort du Christ, et 90 ans après la mort du dernier apôtre ! Le chrétien y est décrit comme un citoyen de la cité terrestre, pleinement engagé et solidaire de la société dans laquelle il vit, cependant, cette vie dans la cité, il l’appréhende comme un pèlerin (image que retient justement le Pape), qui s’achemine vers son but qui est la cité céleste ! Voici quelques brefs extraits : « (Les Chrétiens) résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. […] Les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pas au monde. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. […] L’âme invisible est retenue prisonnière dans le corps visible ; ainsi les chrétiens : on les voit vivre dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible ». Jean XXIII invite les chrétiens à vivre selon ce charisme, être de la cité terrestre pleinement et honnêtement, en n’ignorant pas cependant que nous avons rendez-vous avec la cité céleste ! Le chrétien se doit de vivre son appartenance au monde, grâce à l’exercice de la charité et de la solidarité, cette charité, cette solidarité « étant un important facteur de développement ». Cet emploi du terme « développement » est assez nouveau en 1962, on l’emploiera davantage sous le pontificat de Paul VI. Ce dernier écrira en 1967 l’encyclique : « Populorum Progressio » qui traite du développement au niveau mondial. Cette encyclique sociale reprend l’intuition de Jean XXIII, énumérant les craintes, les espoirs, et les moyens à disposition pour cet heureux développement des nations. « Le développement est le nom nouveau de la Paix » s’écrie Paul VI !

    Le progrès technique.

    Puisque cette doctrine embrasse les multiples domaines de l’activité humaine, individuelle, familiale et sociale, il est nécessaire avant tout que l’Église ne détourne jamais son regard de l’héritage sacré de vérité qu’elle a reçu des anciens. Mais il faut aussi qu’elle se tourne vers les temps présents, qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique.

    C’est pour cette raison que l’Église n’est pas restée indifférente devant les admirables inventions du génie humain et les progrès de la science dont nous profitons aujourd’hui, et qu’elle n’a pas manqué de les estimer à leur juste valeur. Mais en suivant attentivement ces développements, elle n’oublie pas d’avertir les hommes que, par delà l’aspect visible des choses, ils doivent regarder vers Dieu, source de toute sagesse et de toute beauté. Eux à qui il a été dit : « Soumettez la terre et dominez-la » (cf. Gen., 1, 28), ne doivent en effet jamais oublier ce grave commandement : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » (Matth., 4, 10 ; Luc, 4, 8.) Ils éviteront ainsi que la fascination passagère des choses matérielles ne nuise au véritable progrès.

    Dans l’alinéa suivant Jean XXIII poursuit ces considérations sur la notion de développement ou de progrès. Certes, il convient de ne jamais détourner son regard de la tradition reçue « des anciens », mais il ne faut pas pour autant détourner son attention aux « temps présents » qui ont leurs valeurs et dont les moyens peuvent contribuer au progrès de « l’apostolat catholique ». Le « Bon Pape » alterne toujours entre deux notions complémentaires : « Fidélité et Progrès » - « tradition et ouverture ». L’Église n’a pas le droit de se détourner des progrès de la science et de la technique, plus encore elle doit les estimer à leur juste valeur. Cependant comme une grande sœur l’Église doit toujours rappeler aux hommes l’estime pour les valeurs éternelles. Le progrès ne doit pas nous détourner de Dieu. Ce qui reviendrait à dériver vers une idolâtrie du progrès technique.

    COMMENT PROMOUVOIR LA DOCTRINE À NOTRE ÉPOQUE

    Ces choses étant dites, vénérables frères, il est possible de voir avec suffisamment de clarté la tâche qui attend le Concile sur le plan doctrinal.

    Le XXIe Concile œcuménique — qui bénéficiera de l’aide efficace et très appréciable d’experts en matière de science sacrée, de pastorale et de questions administratives — veut transmettre dans son intégrité, sans l’affaiblir ni l’altérer, la doctrine catholique qui, malgré les difficultés et les oppositions, est devenue comme le patrimoine commun des hommes. Certes, ce patrimoine ne plaît pas à tous, mais il est offert à tous les hommes de bonne volonté comme un riche trésor qui est à leur disposition.

    Cependant, ce précieux trésor nous ne devons pas seulement le garder comme si nous n’étions préoccupés que du passé, mais nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu’exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Église marche depuis près de vingt siècles.

    Nous n’avons pas non plus comme premier but de discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine de l’Église, et donc de répéter plus abondamment ce que les Pères et les théologiens anciens et modernes ont déjà dit. Cette doctrine, Nous le pensons, vous ne l’ignorez pas et elle est gravée dans vos esprits.

    Jean XXIII aborde à présent l’aspect doctrinal des travaux des Pères conciliaires. Il souligne qu’ils ne sont pas seuls puisqu’ils sont accompagnés d’experts sur les trois aspects de leurs études : « science sacrée, pastorale et questions administratives ». A nouveau il tient à souligner la fidélité à la tradition et l’ouverture au monde. Plus encore « la doctrine catholique » appartient au « patrimoine commun des hommes » ! Quelle audace ! Jean XXIII reconnait pourtant qu’il y a des oppositions et des résistances. Cependant, pour lui, c’est un trésor dans lequel tout homme de bonne volonté peut puiser. Il ne faut pas s’arrêter, ou même se préoccuper du passé mais continuer la route comme l’Église n’a jamais cessé de le faire au cours de l’histoire. Le travail des Pères ne doit pas être non plus une reprise des travaux déjà accomplis et une répétition des vérités acquises. Cette doctrine est déjà gravée dans les esprits. Mais, on le lit entre les lignes, il faut actualiser le message et rendre abordable cette doctrine.

    Présenter la doctrine d’une façon qui réponde aux exigences de notre époque.

    En effet, s’il s’était agi uniquement de discussions de cette sorte, il n’aurait pas été besoin de réunir un Concile œcuménique. Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est l’adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude, transmise avec cette précision de termes et de concepts qui a fait la gloire particulièrement du Concile de Trente et du premier Concile du Vatican. Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, cette doctrine soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral.

    Il reconnait que si la tâche se situait uniquement dans cette répétition des évidences, il n’aurait pas été nécessaire de convoquer un Concile. Nous touchons ici du doigt le problème qu’avait posé l’annonce de ce 21ème concile Œcuménique ! La plupart des catholiques traditionnels ne voyaient pas la nécessité de réunir un nouveau Concile, ils concevaient éventuellement la poursuite des travaux interrompus de Vatican I, dans tous les cas, ils attendaient une condamnation « des erreurs » du monde contemporain, ce que va développer le Pape dans l’alinéa qui suit. Ces réactions des « tradis », lui avaient été répétées, surtout par les membres de la curie, durant les trois années qui ont précédé l’ouverture du Concile… On devine « entre les lignes », une lassitude dans ces propos du Pape. Pourtant, il demeure ferme et déterminé et garde le cap contre toute attente ! Il invite donc les Pères à rendre plus accessible le dépôt de la foi. « La pensée doit être présentée de la façon qui répond à notre époque ». Cette phrase résume bien sa pensée, et les Pères recevront le message « 5/5 », et ils le mettront en œuvre d’une manière admirable. Ma fréquentation des textes conciliaires ne cesse de m’émerveiller dans ce domaine. Les textes élaborés, il y a cinquante ans, ont gardé leur fraicheur et leur modernité ! Il n’y a pas besoin de les dépoussiérer comme certains textes littéraires de la même époque. La dernière phrase du paragraphe dispense de tout commentaire… l’aspect pastoral, souligné par le « Bon Pape Jean » doit être la ligne de crête de tous les travaux des Pères. Rejoindre les hommes d’aujourd’hui qui vivent dans la société actuelle, et viser le plus grand nombre est le premier objectif. Cette dimension missionnaire de la démarche conciliaire telle que la conçoit Jean XXIII sera toujours présente durant les quatre années de travaux de Vatican II et au-delà du temps demeure la ligne forte pour son actualisation concrète cinquante ans après.

    COMMENT RÉPRIMER LES ERREURS

    Au moment où s’ouvre ce IIe Concile œcuménique du Vatican, il n’a jamais été aussi manifeste que la vérité du Seigneur demeure éternellement. En effet, dans la succession des temps, nous voyons les opinions incertaines des hommes s’exclure les unes les autres, et bien souvent à peine les erreurs sont-elles nées qu’elles s’évanouissent comme brume au soleil.

    L’Église n’a jamais cessé de s’opposer à ces erreurs. Elle les a même souvent condamnées, et très sévèrement. Mais aujourd’hui, l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. Certes, il ne manque pas de doctrines et d’opinions fausses, de dangers dont il faut se mettre en garde et que l’on doit écarter ; mais tout cela est si manifestement opposé aux principes d’honnêteté et porte des fruits si amers, qu’aujourd’hui les hommes semblent commencer à les condamner d’eux-mêmes. C’est le cas particulièrement pour ces manières de vivre au mépris de Dieu et de ses lois, en mettant une confiance exagérée dans le progrès technique, en faisant consister la prospérité uniquement dans le confort de l’existence. Les hommes sont de plus en plus convaincus que la dignité et la perfection de la personne humaine sont des valeurs très importantes qui exigent de rudes efforts. Mais ce qui est très important, c’est que l’expérience a fini par leur apprendre que la violence extérieure imposée aux autres, la puissance des armes, la domination politique ne sont pas capables d’apporter une heureuse solution aux graves problèmes qui les angoissent.

    L’Église catholique, en brandissant par ce Concile œcuménique le flambeau de la vérité religieuse au milieu de cette situation, veut être pour tous une mère très aimante, bonne, patiente, pleine de bonté et de miséricorde pour ses fils qui sont séparés d’elle. A l’humanité accablée sous le poids de tant de difficultés, elle dit comme saint Pierre au pauvre qui lui demandait l’aumône : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ, le Nazaréen, marche. » (Actes, 3, 6.) Certes, l’Église ne propose pas aux hommes de notre temps des richesses périssables, elle ne leur promet pas non plus le bonheur sur la terre, mais elle leur communique les biens de la grâce qui élèvent l’homme à la dignité de fils de Dieu et, par là, sont d’un tel secours pour rendre leur vie plus humaine en même temps qu’ils sont la solide garantie d’une telle vie. Elle ouvre les sources de sa doctrine si riche, grâce à laquelle les hommes, éclairés de la lumière du Christ, peuvent prendre pleinement conscience de ce qu’ils sont vraiment, de leur dignité et de la fin qu’ils doivent poursuivre. Et enfin, par ses fils, elle étend partout l’immensité de la charité chrétienne, qui est le meilleur et le plus efficace moyen d’écarter les semences de discorde, de susciter la concorde, la juste paix et l’unité fraternelle de tous.

    Il y a un contraste manifeste entre la confession de Jean XXIII : « la Vérité du Seigneur demeure éternellement » et la qualité transitoire des erreurs actuelles qui « s’évanouissent comme neige au soleil ». Le Pape sans le citer explicitement nous invite à juger des erreurs comme Gamaliel dans le livre des Actes des Apôtres : 5, 34-42 ; « 5, 34 Mais il y avait parmi eux un Pharisien nommé Gamaliel, un maître de la loi que tout le peuple respectait. Il se leva au milieu du Conseil et demanda de faire sortir un instant les apôtres. 35 Puis il dit à l’assemblée : « Gens d’Israël, prenez garde à ce que vous allez faire à ces hommes. 36 Il n’y a pas longtemps est apparu Theudas, qui prétendait être un personnage important ; environ quatre cents hommes se sont joints à lui. Mais il fut tué, tous ceux qui l’avaient suivi se dispersèrent et il ne resta rien du mouvement. 37 Après lui, à l’époque du recensement, est apparu Judas le Galiléen ; il entraîna une foule de gens à sa suite. Mais il fut tué, lui aussi, et tous ceux qui l’avaient suivi furent dispersés. 38 Maintenant donc, je vous le dis : ne vous occupez plus de ceux-ci et laissez-les aller. Car si leurs intentions et leur activité viennent des hommes, elles disparaîtront. 39 Mais si elles viennent vraiment de Dieu, vous ne pourrez pas les détruire. Ne prenez pas le risque de combattre Dieu ! » Les membres du Conseil acceptèrent l’avis de Gamaliel. 40 Ils rappelèrent les apôtres, les firent battre et leur ordonnèrent de ne plus parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. 41 Les apôtres quittèrent le Conseil, tout joyeux de ce que Dieu les ait jugés dignes d’être maltraités pour le nom de Jésus. 42 Et chaque jour, dans le temple et dans les maisons, ils continuaient sans arrêt à donner leur enseignement en annonçant la Bonne Nouvelle de Jésus, le Messie. » Il invite les Pères à un acte de foi dans la puissance de Dieu et sa capacité à faire triompher la vérité. Au contraire, pour lui l’Église, qu’il qualifie de l’heureux titre d’ « Épouse de Christ » doit utiliser les armes de la miséricorde au lieu de pourfendre les erreurs selon les méthodes inquisitoriales du passé… « [L’Église] répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. Certes, il ne manque pas de doctrines et d’opinions fausses, de dangers dont il faut se mettre en garde et que l’on doit écarter ; mais tout cela est si manifestement opposé aux principes d’honnêteté et porte des fruits si amers, qu’aujourd’hui les hommes semblent commencer à les condamner d’eux-mêmes ». N’est-ce-pas aussi à la parabole de l’ivraie à laquelle Jean XXIII fait allusion et nous renvoie : Matthieu. 13, 24 « Jésus leur raconta une autre parabole : « Voici à quoi ressemble le Royaume des cieux : Un homme avait semé de la bonne semence dans son champ. 25 Une nuit, pendant que tout le monde dormait, un ennemi de cet homme vint semer de la mauvaise herbe parmi le blé et s’en alla. 26 Lorsque les plantes poussèrent et que les épis se formèrent, la mauvaise herbe apparut aussi. 27 Les serviteurs du propriétaire vinrent lui dire : « Maître, tu avais semé de la bonne semence dans ton champ : d’où vient donc cette mauvaise herbe ? » 28 Il leur répondit : « C’est un ennemi qui a fait cela. » Les serviteurs lui demandèrent alors : « Veux-tu que nous allions enlever la mauvaise herbe ? » — 29 « Non, répondit-il, car en l’enlevant vous risqueriez d’arracher aussi le blé. 30 Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson et, à ce moment-là, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler, puis vous rentrerez le blé dans mon grenier. » » Vatican II est un des seuls Conciles à ne pas terminer ses Actes par une longue liste d’Anathèmes, qui étaient autant de condamnations pour jeter les fauteurs d’erreurs dans la géhenne de feu dont parlent certains textes de la tradition biblique du Nouveau comme de l’Ancien Testament ! Les Pères seront donc rigoureusement fidèles à ce souhait de Jean XXIII. Ce dernier n’ignore pourtant pas les idolâtries du monde moderne, mais il discerne des signes de maturité parmi ceux qui gèrent la cité des hommes et favorisent des efforts vers la concorde et la paix entre les hommes. Et le Pape de comparer l’Église à « une Mère très aimante, bonne, patiente, pleine de bonté et de miséricorde pour ses fils qui sont séparés d’elle ». Sa maternité apparait ici comme universelle puisqu’elle n’oublie aucun de ses enfants même pas ceux qui se sont séparés d’elle ! Elle ne recherche que le bien et le progrès de l’humanité pour la conduire à reconnaître l’action bienveillante de Dieu et son désir de procurer à tous le salut. Quant à l’Église elle doit poursuivre une seule tache, « par ses fils, elle étend partout l’immensité de la charité chrétienne, qui est le meilleur et le plus efficace moyen d’écarter les semences de discorde, de susciter la concorde, la juste paix et l’unité fraternelle de tous ». Autrement dit l’unique arme dont dispose l’Église pour combattre ce qui écarte des plans de Dieu, c’est l’amour de charité ! L’optimisme du Pape est à son comble !

    FAIRE GRANDIR L’UNITÉ DE LA FAMILLE CHRÉTIENNE ET HUMAINE

    Si l’Église a le souci de promouvoir et de défendre la vérité, c’est parce que, selon le dessein de Dieu, « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim., 2, 4), sans l’aide de la vérité révélée tout entière, les hommes ne peuvent parvenir à l’absolue et ferme unité des âmes à laquelle sont liés toute vraie paix et le salut éternel.

    Mais cette unité visible dans la vérité, la famille des chrétiens tout entière ne l’a encore malheureusement pas atteinte pleinement et complètement. Cependant, l’Église catholique estime que son devoir est de faire tous ses efforts pour que s’accomplisse le grand mystère de cette unité que Jésus-Christ, à l’approche de son sacrifice, a demandée à son Père dans une ardente prière ; et elle éprouve une douce paix à savoir qu’elle est étroitement unie à ces prières du Christ. Elle se réjouit même sincèrement de voir que ces prières ne cessent de multiplier leurs fruits abondants et salutaires, même parmi ceux qui vivent hors de son sein. En effet, à bien considérer cette unité que Jésus-Christ a implorée pour son Église, on voit qu’elle resplendit d’une triple lumière céleste et bienfaisante :

    -  l’unité des catholiques entre eux, qui doit rester extrêmement ferme et exemplaire ;
    -  l’unité de prières et de vœux ardents qui traduisent l’aspiration des chrétiens séparés du Siège apostolique à être réunis avec nous ;
    -  l’unité enfin d’estime et de respect à l’égard de l’Église catholique, manifestée par ceux qui professent diverses formes de religion encore non chrétiennes.
    C’est un sujet de profonde tristesse de voir que la majeure partie du genre humain — bien que tous les hommes qui viennent en ce monde soient rachetés par le Sang du Christ — ne participe encore pas aux sources de grâce qui résident dans l’Église catholique. C’est pourquoi on peut à bon droit appliquer à l’Église catholique — dont la lumière éclaire toutes choses et dont la force surnaturelle d’unité profite à toute la famille humaine — ces nobles paroles de saint Cyprien : « L’Église, baignée de lumière divine, rayonne dans tout l’univers ; et pourtant, c’est une seule et même lumière qui diffuse partout sa clarté sans rompre l’unité du corps. Ses rameaux féconds s’étendent sur toute la terre, ses eaux coulent toujours plus abondamment et plus loin et, cependant, il n’y a qu’une seule tête, une seule origine, une seule mère si richement féconde. C’est de son sein que nous sommes nés, de son lait que nous sommes nourris, de son esprit que nous vivons. » (De Catholicae Ecclesiae Unitate, 5.)

    Vénérables frères, voilà ce que se propose le IIe Concile œcuménique du Vatican. En unissant les forces majeures de l’Église, et en travaillant à ce que l’annonce du salut soit accueillie plus favorablement par les hommes, il prépare en quelque sorte et il aplanit la voie menant à l’unité du genre humain, fondement nécessaire pour faire que la cité terrestre soit à l’image de la cité céleste « qui a pour roi la vérité, pour loi la charité et pour mesure l’éternité ». (Saint AUGUSTIN, Ep. CXXXVIII, 3.)

    Dans l’alinéa suivant Jean XXIII aborde le thème central qui a guidé sa décision de convoquer un Concile Œcuménique. « Le Bon Pape Jean » a expliqué à plusieurs reprises que ce Concile sera œcuménique, pas seulement selon la terminologie habituelle utilisée pour qualifier les Conciles signifie « universel… l’ensemble du monde habité ». L’Église a l’habitude de distinguer des « Conciles particuliers » régionaux ou nationaux, des « conciles généraux » qui concernent l’ensemble de l’humanité qu’on qualifie alors d’« œcuménique ». Jean XXIII voudra reprendre l’autre sens (voir encadré) utilisé pour désigner le mouvement en vue de restaurer l’unité des chrétiens ! Le Pape déplore que l’Unité entre les chrétiens soit encore à réaliser. Les catholiques se référant à la prière sacerdotale du quatrième évangile doivent en faire une urgente priorité. Le « Bon Pape » n’ignore pas la somme des prières adressées à cette intention, et les encourage. Il explicite la tache qui incombe à chacun :
    « En effet, à bien considérer cette unité que Jésus-Christ a implorée pour son Église, on voit qu’elle resplendit d’une triple lumière céleste et bienfaisante :
    1) l’unité des catholiques entre eux, qui doit rester extrêmement ferme et exemplaire ;
    2) l’unité de prières et de vœux ardents qui traduisent l’aspiration des chrétiens séparés du Siège apostolique à être réunis avec nous ;
    3) l’unité enfin d’estime et de respect à l’égard de l’Église catholique, manifestée par ceux qui professent diverses formes de religion encore non chrétiennes ».
    C’est donc sa conception de l’œcuménisme dont les efforts doivent s’exercer à trois niveaux : L’unité des chrétiens entr’eux ; l’Unité des autres confessions chrétiennes vis-à-vis du Siège apostolique ; l’unité avec les religions non-chrétiennes. Cette conception a évolué depuis, surtout en ce qui concerne cette conception de cette unité centrifuge dont il est question dans le second point d’attention du « Bon Pape ». « Le retour des frères séparés dans la communion avec le Saint-Siège » n’est autre que la conception des pontifes antérieurs. A la suite du Concile et du décret « unitatis redintegratio » qui réfléchit à partir de la doctrine énumérée par Jean XXIII, la réflexion évoluera encore (ce qui est souhaité par le décret sur l’œcuménisme) vers nouvelle conception de l’œcuménisme dont la formule retenue nous est plus familière « l’unité dans la diversité ». En revanche ce qui est totalement nouveau, c’est ce qu’on préfère désormais appeler « le dialogue interreligieux » et qui était impensable jusqu’à présent. Les Pères orchestreront ce troisième point d’attention de notre alinéa en écrivant la déclaration « Nostra ætate ».

    Œcuménisme

    « Peu d’argent, une pléthore d’idées, une connaissance intime de son sujet, une curiosité œcuménique et enjouée : le magazine Opéra a trouvé sa place et figure à l’agenda de nombreux amateurs d’art lyrique ». Le Point, 29 octobre 1990.

    L’œcuménisme, dans notre langage courant, est une ouverture à tous les courants de pensée ; être œcuménique, c’est ne pas prononcer d’exclusive, mais au contraire rechercher le dialogue et le pluralisme.
    Ce vieux mot technique du langage chrétien a été découvert par les journalistes, en même temps qu’aggiornamento, quand, le 25 janvier 1959, le pape Jean XXIII, récemment élu, annonça à la surprise générale, la prochaine réunion d’un concile œcuménique pour procéder à l’aggiornamento de l’Église catholique.
    Le mot vient du grec oikoumenikos, dérivé d’oikoumêné, « la Terre habitée ». Les Pères de l’Église employaient oikoumenê d’une manière ambiguë : tantôt il s’agissait de toute la terre habitée par les hommes, les uns étant déjà chrétiens, les autres destinés à le devenir, tantôt, dans un esprit plus réaliste, des seules parties de la Terre conquises au christianisme. En ce sens, et bien avant Jean XXIII, on appelait déjà conciles œcuméniques les conciles où tous les évêques de la terre étaient convoqués.
    Les choses devinrent plus complexes lorsque l’unité des chrétiens se brisa. Au Vème siècle, le pape avait reçu le titre de patriarche œcuménique, mais l’usage ne dura pas, l’évêque de Rome préférant le titre de pape (père), plus évangélique. Les Patriarches de Constantinople le reprirent à leur propre compte dès le VIème siècle, ce qui allait contre l’universalité reconnue à l’autorité du pape. Depuis la rupture avec Rome au XIème siècle, ils en ont gardé l’usage ; les autres patriarches orthodoxes l’utilisent également.
    Aujourd’hui, les mots œcuménique et œcuménisme réfèrent avec nostalgie ou espoir aux temps où la chrétienté n’était pas divisée. On appelle précisément œcuménisme les différents mouvements des chrétiens de diverses confessions qui cherchent des voies de rapprochement ; c’est par analogie avec ce mouvement que le mot s’est adjoint le sens profane d’ouverture d’esprit, esprit accueillant.

    Collection LE FRANÇAIS RETROUVÉ : « Les mots de la religion chrétienne » - Xavier Renard –
    © Éditions Belin 1993. pages 328-329.

    L’alinéa se termine en exhortant à travailler pas seulement à l’unité entre les croyants, mais aussi à « l’unité du genre humain » fondement nécessaire pour la réalisation plénière de la cité céleste. Jean XXIII emprunte une formule à Augustin, cet ancien rhéteur a ciselée une formule particulièrement poétique et riche de sens :

    « La cité céleste »

    « Qui a pour roi la vérité,

    Pour loi la charité

    Et pour mesure l’éternité ».

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