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  • La légende d’un colosse

    Ne prononçons pas tout de suite le nom de ce célèbre héros de notre village ; d’ailleurs en ces premiers temps de l’ère chrétienne, seuls les gens influents portaient un nom de famille.

    Les simples, dans leur majorité, étaient désignés par leur métier, le lieu qu’ils habitaient, une singularité physique ou familiale… Pourquoi ne pas donner à notre héros un nom de notre temps, et qui signale aussi sa force, ses qualités et ses défauts ?...Obélix, par exemple, en attendant la suite du conte.

    Ce qu’il a en plus de l’Obélix que nous connaissons (le livreur de menhirs) c’est qu’il croit être le plus fort. Et il cherche pour sa taille et ses muscles le meilleur des employeurs : d’abord il a servi un roi……déception. Puis, le diable…………ça ne paie pas. Alors, comme il a un bon fonds, il se met au service des gens dans l’embarras, spécialement les petits, les faibles, ceux qui n’ont pas confiance en eux-mêmes. Les ponts sont rares, dans ce premier siècle de notre ère : on passe les fleuves à gué, ce qui n’est pas sans danger. Voilà donc notre « Obélix » passeur. Pas patron de barque, pas tireur de chaîne : simple passeur sur ses vastes épaules.

    Et il vivote ; et on l’aime bien ; il sait faire rire ceux qui ont peur du courant, des trous, du monde étrange des poissons, ces êtres vivants à sang froid qui ne respirent pas comme nous l’air, le vent, les parfums de la nature. Les pieds du passeur ne risquent pas de se faire grignoter : ce sont de lourds battoirs de corne contre lesquels le courant ne peut rien. Pour attirer les clients, il n’a pas de cloche, mais il chante quelque chose comme « Deep river, I want to cross over him », en latin sans doute, car c’est l’époque.

    Un beau jour, il lui arrive comme client un tout petit garçon :

    -  Croyez-vous, Monsieur Obélix, que vous pourrez me faire passer ?

    - Je pourrais en passer d’un seul coup dix comme toi, mon petit bonhomme. Allez : tes jambes autour de mon cou, tes mains dans mes cheveux, et c’est comme si qu’on était arrivés.

    - Combien ?

    - Bof, pour une petite course comme ça……….Tu me paieras quand tu seras grand. C’est parti ! Tiens bien ton ballon par la poignée. C’est une poignée ou……….une croix ?

    Les premières dizaines de mètres, pas de problème. Mais voici que le courant se fait plus violent, l’eau plus froide, le fond sableux plus instable, et l’enfant lourd, si lourd……. "Obélix " commence à douter de sa force :

    -  Dis donc, petit……….Hh, Hh, t’as mangé du plomb ce matin….Hh, Hh, …ou c’est moi qui ramollis ?...Hh, Hh…faut que je tienne le coup…..Hh…que je reste fiable. Hh….question de vie ou…..Hh

    -  N’aie pas peur, Christophoros : avec moi tu ne risques rien. Respire à fond et calmement, en pensant à l’Eternel ton Dieu.

    Et le grand passeur reprend force et confiance. Bientôt il aborde. Tous deux sont sauvés.

    -  Dis-moi drôle de bébé : comment es tu devenu si lourd ?

    -  C’est à cause de ma boule, Christophoros ; ma boule, c’est le monde que je porte, et sa poignée, c’est ma croix.

    -  Pardonne-moi si je ne comprends pas tout. Même ce nom nouveau que tu me donnes…..

    -  Christophoros. Christos, c’est moi ; ça veut dire « Celui qui a reçu l’onction de l’Eternel ». Et Phoros, c’est toi ; c’est « celui qui porte ».
    Après toi, tous mes amis fidèles seront des Christophoroï, des « porteurs-du-béni-de-Dieu ». Ensemble, nous porterons le monde afin qu’il redevienne tout entier le domaine de Dieu mon Père, son créateur, ton créateur que tu ne connaissais pas. Dans ce fleuve, je viens de te laver de ton passé, de te revivifier ; je viens de te baptiser. Christophe, tu es le premier des passeurs du Christ.


    -  Sûr que sans toi, les poissons seraient en train de nous grignoter. Beurk !

    -  Ne dis pas de mal des poissons, Christophe. D’abord, j’aime les attraper : je serai pêcheur. Avec mes amis, nous vivrons de la pêche. Je leur organiserai une pêche miraculeuse : tu verras ça ! J’en ferai cuire pour eux sur le rivage du Lac en attendant le retour de leur partie de pêche. En plus, moi-même – écoute bien ça- en disant que je suis « Jésus, Christ, Fils de Dieu, Sauveur », je formerai avec les initiales grecques de mon nom le mot poissons : « Ichthus ». Mes amis bricoleront avec ces cinq lettres une zone à huit rayons, qui sera leur signe de ralliement. Dans vingt siècles on le verra encore sur une dalle de l’agora d’Ephèse et sur une fenêtre ouest de l’église d’Echiré. Ne me quitte pas, Christophe.

    -  Où irais-je, bébé mon maître ? Tu as les paroles de la vie éternelle.

    Et l’on passe à notre deuxième vitrail et au témoignage ultime du chrétien Christophe. C’est au moins trente ans plus tard.
    Sa foi déplaît à un roi qui veut l’obliger à renier Jésus. Or Christophe lui rit au nez :

    -  Pauvre roi : tu voudrais que je t’obéisse en renonçant au Roi des rois !

    -  Si tu ne m’obéis pas, tu serviras de cible à mes archers.

    -  Je n’ai qu’un roi, qui est Jésus.

    -  Attachez-le……Et visez bien, mais sans le tuer tout de suite, que l’on fasse durer le plaisir.
    Et les tireurs s’exercent, et rivalisent, mais Christophe ne cesse de prier son Maître :

    -  Comme tu as offert ta vie pour nous, j’offre la mienne pour ces idiots qui ne veulent pas te connaître. Comme tu as souffert, moi aussi je veux souffrir et mourir. Et renaître avec Toi.
    Or, il se produit soudain l’inattendu : le corps de Christophe semble d’acier poli : il renvoie les flèches vers les archers, qui cessent leur tir. Mais trop tard : une s’est plantée dans l’œil du roi, qui sera borgne. Peut-être y a-t-il à côté de lui un Bossuet qui cite l’Ecriture : « Et maintenant, Ô rois, comprenez ; soyez éduqués, vous qui jugez la Terre ».

    Toujours est-il que le roi borgne se repent, qu’il supplie Dieu de guérir Christophe. Mais c’est trop tard : sur les épaules du Divin Enfant, Saint Christophe a passé le fleuve invisible qui sépare la Terre où peinent les hommes, du mystérieux Jardin où tout s’explique.

    R.D.