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  • Lettre ouverte … à Jérémie

    Très cher Jérémie,

    Quel dommage que ton nom soit associé à des plaintes sans fin, des jérémiades ! Pour sûr, ta vie durant, tu as eu bien des raisons de te plaindre. Mais on ne peut réduire ton personnage à ce seul aspect de ta vie.

    Ton itinéraire

    Tu serais né vers 640 sous le règne du roi de Juda, Josias, dans le village d’Anatot à quelques kms au nord de Jérusalem. Ton père est un prêtre de seconde zone ; Tu vas vivre durant la période la plus troublée de l’histoire de ton peuple.

    Deux grandes puissances s’affrontent : l’Egypte au sud, les Chaldéens de Babylone à l’est. Le petit royaume de Juda est pris en étau entre ces deux mastodontes. Le petit roi Josias, sous le règne duquel tu commences ton ministère prophétique (626) y laissera sa vie en 612 à la bataille de Megiddo.

    Quand Dieu t’appelle (Jr [Jérémie] 1, 4-10), tu n’es qu’un jeune homme, tu ne te sens pas capable. Dieu te force la main. Ta mission sera lourde à tes épaules. Comme tout prophète, tu vas toujours aller à contre-courant, presque sans soutien. Tu refuseras l’alliance avec l’Egypte, « un roseau brisé qui perce la main si on s’appuie dessus. » On te persécutera, on cherchera à te faire mourir. Finalement, malgré tes conseils de ne pas résister aux Chaldéens, Jérusalem sera prise par deux fois (597 – 587), et incendiée par le roi Nabuchodonosor. Le roi de Juda et les élites seront exilés à Babylone, et toi, un groupe de fuyards t’emmènera mourir en Egypte (686).

    Je ne veux pas raconter plus longuement ta vie, ni aborder tous les thèmes de ta prédication. Je n’en retiendrai que quelques uns, en m’appuyant sur tes paroles les plus marquantes.

    Tu dénonces le péché de ton peuple et son endurcissement

    Au nom du Seigneur, tu te plains de voir ton peuple continuer dans ses errements et ne pas revenir à lui (Jr 8, 5-7) : « Pourquoi ce peuple, Jérusalem, se détourne-t-il [de moi] ?... Ils tiennent ferme à leurs illusions, ils refusent de revenir […] Chacun se détourne à sa guise, tel un cheval emballé dans la bataille. Même la cigogne dans les airs connaît le temps des migrations. La tourterelle, l’hirondelle, la grive ne manquent pas le moment du retour. Mais mon peuple ne tient pas compte de l’ordre établi par le Seigneur. » Ton peuple a oublié le Seigneur, il s’est adonné à l’idolâtrie. Le prophète Osée appelait cela de la prostitution.

    Tu l’appelles à la conversion

    Mais tu crois toujours à la bonté et au pardon de Dieu (3, 12-13) : « Reviens, Israël, le rebelle […], ma présence ne vous sera plus accablante. Oui, je suis un ami fidèle, dit le Seigneur ; je ne tiens pas rigueur pour toujours, mais reconnais ta perversion : c’est contre le Seigneur que tu t’es révoltée… » Ou encore (4, 1-2) « Si tu reviens, Israël, dit le Seigneur, c’est à moi que tu dois revenir. Si tu ôtes tes ordures [les idoles] de devant ma face, alors tu ne marcheras plus sans but. Si tu prêtes serment : ‘Par la vie du Seigneur’, dans la vérité, le droit et la justice, alors les nations se béniront au nom du Seigneur. »

    Qui peut sauver ce peuple ?

    Vous les prophètes, vous avez souvent mauvaise réputation. On vous accuse de toujours annoncer des catastrophes, de menacer sans cesse au nom de Dieu. C’est vrai que cela fait partie de votre mission. A certains moments, il y a de quoi désespérer de ce peuple. Ne dis-tu pas que « la faute de Juda est écrite au burin de fer, à la pointe de diamant ; elle est gravée sur la table de leur cœur… » (17, 1). Mais, pour toi, l’avenir n’est pas complètement bouché. Au cœur des pires menaces pour les tiens, tu ouvres des perspectives d’espérance (30, 18-22) : « Ainsi parle le Seigneur, je vais restaurer les tentes de Jacob, je prends ses habitations en pitié : chaque ville est reconstruite sur sa colline, […]. Il s’en élève des actions de grâce, la rumeur de gens en fête […]. Ses enfants retrouvent leur dignité d’autrefois, son assemblée est solidement établie devant moi […].Vous deviendrez un peuple pour moi, et moi, je deviendrai Dieu pour vous. »

    Tu promets une nouvelle Alliance

    Ton peuple a profané l’Alliance conclue avec ses pères, Mais Dieu ne désespère pas de lui. Il lui annonce une Alliance radicalement nouvelle. Je ne résiste pas au plaisir de citer tout ce passage qui est sans nul doute le sommet de ton livre : « Des jours viennent – oracle du Seigneur – où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte. Eux, ils ont rompu mon alliance ; mais moi, je reste maître chez eux – oracle du Seigneur - . Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là – oracle du Seigneur - : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi... Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, disant : « apprenez à connaître le Seigneur », car ils me connaîtront tous, petits et grands – oracle du Seigneur -. Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en parle plus. » Ton collègue Ezéchiel, en plein exil à Babylone, le dira à sa manière (Ez [Ezéchiel] 36, 26-27) : « J’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit… »

    Où est donc la nouveauté ? Auparavant, le pardon était lié à l’attitude de l’homme. Avec la nouvelle Alliance que tu annonces, le pardon est gratuitement offert, sans condition. La loi ne sera plus écrite sur des tables de pierre ; elle sera inscrite au plus profond du cœur

    La Nouvelle Alliance en Jésus Christ

    A ton époque tu ne pouvais pas l’imaginer, mais pour nous, chrétiens, cette Nouvelle Alliance est maintenant réalisée. L’épître aux Hébreux, à deux reprises (He 8, 8-12 et He 10, 16-17) reprendra exactement les paroles que tu prêtes à Dieu : Par sa vie librement offerte, Jésus établit définitivement cette Alliance que tu avais annoncée, comme il le dit lui-même (Lc 22, 20) : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang versé pour vous. »

    Jérémie, Je pense à toi, quand j’entends Jésus dire aux Juifs de son temps à propos d’Abraham (Jn 8, 56) : « Abraham, votre père, a exulté à la pensée de voir mon jour : il l’a vu et il a été transporté de joie. » Je suis sûr que, toi aussi, tu as bondi de joie auprès de Dieu quand tu as vu se réaliser ce que tu avais annoncé.

    Quel bonheur d’avoir pu correspondre avec toi !

    Joseph CHESSERON

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