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  • Lettre ouverte… à Moïse (suite)

    Rappel : tu es associé par Dieu au salut de son peuple

    Dans ma lettre précédente, Moïse, j’ai rappelé comment Dieu s’est révélé à toi : le Dieu dont on ne prononce ni on n’écrit le nom, mais en même temps le Dieu qui se fait proche, qui porte le souci des hommes, en particulier la misère de ton peuple (de son peuple). Presque à ton corps défendant, tu fais cause commune avec lui : il t’associe à lui dans la délivrance de ce peuple qui va te causer tant de tracas. J’en parlerai dans ma troisième lettre.

    Une plaie choquante : la mort des premiers-nés

    Pour l’heure, il s’agit d’achever la tâche entreprise : libérer ces pauvres gens et les faire sortir d’Egypte. Pharaon lui-même vous chassera. Mais ça ne va pas aller tout seul. Il faudra que toi et le Seigneur, vous sortiez le grand jeu … et c’est là que je ne comprends plus très bien. Permets-moi même de te dire, cher Moïse, que je suis très en colère. J’ai l’air de quoi ? Sans cesse, je m’efforce de dire aux gens que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas ce qu’ils croient, que c’est un Dieu plein de tendresse ; pour le prouver, je multiplie les citations de la Bible, par exemple Dieu est père et mère (Nb [Nombres]11, 11-15), il prend soin de sa vigne c’est-à-dire de son peuple (Is [Isaïe] 5, 1-8), ou encore « Même si une mère oubliait son enfant, moi, Dieu, je ne t’oublierai pas »( Is 49, 13-16), et combien d’autres exemples sur lesquels je reviendrai sans doute un jour.

    Mais là, ça dépasse les bornes : s’attaquer aux choses matérielles, comme dans les neuf premières plaies (voir la lettre précédente), à la limite je veux bien, mais faire mourir des pauvres gosses qui ne sont pour rien dans cette affaire (Ex 11, 4-6 et 12, 12 et 29-30), cela réduit à néant tous mes efforts ! J’espère que tu comprends ma colère. Pour me calmer, pour essayer de comprendre tout ce que cela veut dire, j’ai consulté des gens plus savants que moi. Ils m’ont dit tout d’abord qu’il ne faut pas juger le passé avec notre mentalité d’aujourd’hui ; puis ils m’ont invité à prendre du recul par rapport à ce récit : qu’est-ce qui s’est passé réellement ? qu’est-ce que l’auteur a vraiment voulu dire ? Dieu, sauveur de son peuple, ne pouvait se révéler qu’à travers les images que les hommes avaient de lui au moment où l’auteur a composé son texte. Dieu prend son temps, il prend le temps de notre histoire : il affine petit à petit dans nos esprits (notre foi) les représentations que nous nous faisons de lui. Elles ne seront jamais parfaites !

    Bon ! j’écoute, j’essaie de comprendre : ça me calme… Cependant je sens que ma colère va reprendre à propos d’autre chose !

    Tu prépares le peuple au départ

    Mais, si tu le veux bien, reprenons le cours de ton histoire. Après la mort des premiers-nés, Pharaon, qui pourtant ne voulait plus jamais vous voir (Ex 10, 28), vous appelle en pleine nuit, toi et Aaron (6) et vous chasse proprement du pays. Sur l’ordre du Seigneur, vous avez préparé le départ : vous demandez à chaque famille d’apprêter un agneau ou un chevreau (Ex 12, 3-14) que l’on mangera rapidement, sandales aux pieds et bâton à la main. Vous faites marquer avec du sang la porte de chaque maison (Ex 12, 13 et 22-23). Vous ne prenez pas pour le pain le temps de faire lever la pâte : vous la faites cuire sans que le levain ait eu le temps de produire son effet (Ex 12, 15-20)et vous vous empressez de faire partir le peuple en hâte. Vous vous êtes arrangés au passage de dépouiller les Egyptiens… et les Egyptiennes de leurs bijoux ! (Ex 11, 2 et 12, 35-36).

    Dans la suite des temps, ces rites vont être répétés et serviront à se souvenir de ce moment fondateur du peuple (Ex 12, 14.26.42. 13, 8-10.14.16-) Je laisse aux spécialistes, dans la mesure où ils sont d’accord entre eux, le soin de déterminer l’origine de ces fêtes, nomade pour la fête de l’agneau, rurale et sédentaire pour la fête des pains. Ce qui est plus important, c’est le sens qu’ont voulu donner les derniers rédacteurs de ton histoire : se souvenir de la sortie d’Egypte et de la libération par le passage de la mer.

    Qui mène le jeu dans la grande confrontation ?

    Te voilà donc parti à la tête de ce ramassis de pauvres gens (Ex 12, 37-38). Vous ne prenez pas la route directe pour aller vers la Terre Promise (Ex 13, 17-18) ; trop dangereux : c’est plein de bastions pour garder la frontière du nord. Vous allez vers le désert. (Ex 13, 18). Vous êtes accompagnés par la nuée et la colonne de feu (Ex 13, 20-22) : une manière de dire que le Seigneur est avec vous nuit et jour et qu’il veille sur vous.

    Et voici la grande confrontation ! Pharaon contre le Seigneur ! Qui mène le jeu, de part et d’autre ? Apparemment, Pharaon prend la décision de poursuivre les fils d’Israël et il ne lésine pas sur les moyens ! (Ex 14, 5-9). Et pourtant, à y regarder de près, quelqu’un d’autre a toutes les cartes en main. L’auteur le dit à sa manière : « J’endurcirai le cœur de Pharaon » (Ex 14, 4 et 14, 8). Il nous faudra du temps pour dépasser l’image d’un Dieu qui mettrait le mal dans le cœur de l’homme. Toi-même, Moïse, avais-tu compris ? Miryam elle-même (pas ta sœur, mais la mère de Jésus), a mis du temps à comprendre ce qui lui arrivait, à elle et à son Fils !

    Les gens que tu entraînais à ta suite ne comprenaient pas plus : devant la menace, panique et protestation chez les fils d’Israël ! (ce n’est que la première, il y en aura bien d’autres) (Ex 14, 10-12.17-). Tu as beaucoup de mal à leur redonner confiance (Ex 14, 13-14). A ce moment-là, le Seigneur t’associe pleinement à son action libératrice : il t’ordonne de parler aux fils d’Israël, de donner l’ordre du départ, de lever ton bâton, d’étendre la main sur la mer et de la fendre (Ex 14, 17). Tu apparais vraiment comme le collaborateur de Dieu. C’est lui qui réalise les choses (Ex 14, 21 30), mais tu apparais à ses yeux comme indispensable.

    Souvenons-nous : le Dieu d’Israël est un Dieu Sauveur

    Comme chacun d’entre nous tu as en mémoire ces moments inoubliables : la mer qui se fend, les fils d’Israël qui passent à pied sec, la mer qui reprend sa place et l’armée de Pharaon engloutie dans les flots. Simple avertissement aux lecteurs de cette lettre (toi, Moïse, tu le sais depuis toujours !) : que ces images ne nous détournent pas de l’essentiel : le Dieu d’Israël est un Dieu Sauveur (Ex 14 30-)

    - il est aussi le Sauveur du monde entier, comme le laisse entendre ce texte étonnant du prophète Isaïe : « Ce jour-là, Israël viendra le troisième, avec l’Egypte et l’Assyrie. Telle sera la bénédiction que, dans le pays, prononcera le Seigneur, le tout-puissant « Bénis soient l’Egypte, mon peuple, l’Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël, mon patrimoine » (Is 19, 24-25)

    - mais il a eu besoin de toi, Moïse, si bien que, de façon surprenante, tu deviens objet de foi, presque à l’égal de Dieu : « le peuple mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur » (Ex 14, 31).

    Le terme mémorial ne désigne pas seulement le souvenir du passé, c’est la réalisation aujourd’hui de l’œuvre de salut de Dieu. « Faisant ici mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus … » : c’est exactement la même chose pour les chrétiens.

    Un Dieu guerrier ? un combat contre qui ? contre quoi ?

    Et voilà le deuxième coup de colère que j’avais annoncé : tu pousses un peu loin le bouchon dans le chant guerrier du chapitre 15 de l’Exode que tu entonnes après le passage de la mer (Ex 15, 1-18-) et la conclusion par ta sœur Miryam (Ex 15,21) : mon Dieu n’est pas un guerrier (v 3), il ne fracasse pas l’ennemi (v 6), il ne brûle pas de fureur (v 7), il ne dégaine pas une épée, il ne fait pas peur aux nations (v 14-16), il ne jette pas à l’eau cheval et cavalier (v 21). Ce n’est pas ton problème, mais avoue quand même qu’il est difficile de faire entrer ces mots dans une prière d’aujourd’hui sans dire aux chrétiens qu’ils sont les héritiers de toute une histoire qu’ils ne peuvent pas oublier.

    Comme au début de ma lettre, je vais donc me calmer, en pensant à Jésus que tu as rencontré sur la montagne avec ton ami Elie (je lui écrirai un jour tout comme a toi !). Jésus, lui aussi a prié avec ces textes ; mais il a combattu d’un tout autre combat, sans arme ni violence. C’est lui et l’Evangile qui nous aident à faire la part des choses dans toutes ces images déroutantes.

    Pour toi, Moïse, tout semble aller pour le mieux : ton peuple est passé de l’esclavage d’Egypte à la liberté sur le chemin de la Terre Promise. Mais tu n’es pas au bout de tes peines : « C’est un peuple à la nuque raide » (Ex 32, 9) à qui tu as affaire ! J’évoquerai tout cela dans ma prochaine lettre.

    A bientôt, Moïse, le Voyant !

    Note pour une meilleure compréhension

    Que s’est-il passé historiquement (au sens moderne du terme) dans ce que nous appelons traditionnellement « le Passage de la Mer Rouge » ? Aucun document en dehors de la Bible ne nous rapporte l’événement, et la Bible elle-même en parle de façon très diverse, presque contradictoire. En tout cas, il ne faut pas se laisser enfermer dans des images grandioses sinon grandiloquentes (Cf : les Dix Commandements de Cecil B. De Mille). A l’écoute de la Bible, faisons de cet événement ce qu’elle nous dit d’en faire : « Souviens-toi que, aujourd’hui et pour toujours, Dieu aime et protège son peuple (l’humanité), comme il l’a aimé tout au long de son histoire ». Le Passage de la Mer est et restera le symbole du passage de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie. Pour nous, Chrétiens, la réalisation de ce passage à travers l’eau, c’est le Baptême : « Nous tous, baptisés en Jésus Christ c’est dans sa mort que nous avons été baptisés,…afin que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous menions une vie nouvelle. » (Rm 6, 3-4)

    Joseph CHESSERON