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  • Lettre ouverte à Jacob

    Il y a quelque temps, j’ai écrit à ton grand-père Abraham. Il m’a répondu par une longue lettre d’au moins treize chapitres . J’en ai fini la lecture, mais il faudra que j’y revienne : il y a tellement de choses que je n’ai pas comprises ! C’est à toi maintenant que je m’adresse. Je t’en prie : demande pardon de ma part à ton père Isaac de paraître l’oublier, mais, coincé comme il est entre un père tel qu’Abraham et un fils tel que toi, il fait piètre figure : un seul chapitre lui est consacré entièrement , et il semble que Rébecca, sa femme (ta mère) ait joué un rôle au moins aussi important que lui. Ah ! ces femmes !

    Ta naissance

    C’est curieux dans votre famille, il y a souvent des histoires de stérilité (de la femme…, de l’homme on n’en sait rien !) Est-ce que, par hasard, ce ne serait pas pour dire que c’est Dieu qui est source et maître de la vie ? Au bout du compte, malgré tout, Rébecca devient enceinte… mais, entre toi et ton frère jumeau, ça ne se passe pas bien du tout ! Déjà, dans le ventre de votre mère, vous vous bagarrez. A la naissance, tu sors le second mais tu tiens ton frère Esaü (le velu) par le talon, une manière de dire : " j’ai le dessous maintenant, mais un jour je te supplanterai " (Jacob, le " supplanteur ") .

    Tu captes la bénédiction paternelle

    Et ça ne va pas tarder : Tu lui achètes son droit d’aînesse pour un plat de lentilles . Ton père Isaac préfère Esaü, malgré les soucis qu’il donne à ses parents par ses mariages avec des étrangères . Rébecca, qui a sans doute un faible pour toi, entend son mari demander à Esaü d’aller à la chasse, de lui préparer un bon repas de gibier pour recevoir sa bénédiction). Elle te pousse à te substituer à ton frère pour lui subtiliser la bénédiction paternelle (Jacob, le " supplanteur "[bis]). Pour en arriver à confondre des poils de chevreau et des poils humains, il faut vraiment que le vieil Isaac soit sur le déclin. Et pourtant ça marche ! Colère d’Esaü à son retour de chasse ! Isaac n’a qu’une bénédiction . Le père est du côté de la loi ! Tu risques à ton tour de servir de gibier . Alors ta mère projette de t’envoyer te réfugier à Harran chez son frère Laban, " pour, se dit-elle, ne pas être privée de mes deux fils le même jour. " . Mais, afin de cacher pleinement son jeu, elle suggère à Isaac d’envoyer lui-même Jacob chercher un bon parti chez son beau-frère, dans sa famille.

    "L’échelle de Jacob"

    Et te voilà parti pour la grande aventure ! Mais qui donc te conduit ainsi par des chemins aussi inattendus ? Avons-nous un début de réponse avec ce songe mystérieux qu’on appelle encore " l’échelle de Jacob " ? Ce qui est sûr, c’est que la parole que tu prononces à la fin de ce récit sera un guide pour les croyants des siècles à venir : " Dieu était là et je ne le savais pas ! "

    Tes rapports tendus avec Laban, ton beau-père

    Tout semble bien commencer pour toi : tu rencontres très vite Rachel, la fille de Laban, près d’un puits et, toute de suite, tu deviens amoureux . Tu te mets en quatre pour faire boire ses moutons, ton futur beau-père t’accueille à bras ouverts . Il est même prêt à te donner sa fille en mariage. Mais là, toi et Laban, vous nous faites assister à une vraie partie de poker-menteur ; ces histoires d’épouse substituée pendant la nuit de noce, ces marchandages pour avoir droit à la préférée , ta vengeance en t’enrichissant aux dépens de ton beau-père, on ne peut pas les résumer : il faut les lire dans le texte tellement c’est savoureux ! Pendant ce temps, tu accrois ta petite famille avec tes épouses et leurs servante) : onze fils et une fille (le plus jeune viendra plus tard, mais Rachel mourra en couches..
    Tes relations avec Laban se tendent de plus en plus ; tu dois partir secrètement, en accord avec tes épouses et retourner en Canaan. Rachel, au passage, vole les dieux de son père (des sortes d’amulettes) ; le lieu où elle les cache ne serait-il pas pour l’auteur une manière de dire que ce ne sont que des objets, non des dieux ?

    Au gué du Yabboq

    Je passe sous silence ta rencontre avec Esaü ton frère. Tu es assez malin pour que ça se passe bien . J’aimerais bien savoir cependant ce que signifie ce mystérieux épisode où tu luttes toute la nuit contre un homme (un ange ?), au gué du Yabboq. C’est là, dit-on, que le Seigneur te donna un nouveau nom : Israël

    Une histoire "vraie", y compris dans sa violence

    C’est curieux quand même : pour toi, pour tes fils et pour ta descendance, les auteurs ont été sans concession ; ils ont raconté les faiblesses et les turpitudes aussi bien que les hauts faits et les bonnes actions. Ainsi cette sombre histoire du viol de Dina, ta fille, et de la vengeance contre les habitants de Sichem organisée par ses frères . Cela tranche sur la manière des autres peuples de présenter leurs ancêtres. Ne serait-ce pas pour dire ce qui sera répété sans cesse : " Si je t’ai choisi, ce n’est pas parce que tu es meilleur, c’est parce que je t’aime et je te donne la responsabilité d’être signe de mon amour pour tous les hommes " ?

    Renouvellement de l’Alliance

    Et de fait, à Bethel (la " Maison de Dieu "), où tu construis un autel (ou une stèle) Dieu renouvelle avec toi l’alliance conclue avec ton grand-père Abraham . Tout au long des siècles, cette alliance prendra des chemins tortueux, dans " un peuple à la nuque raide " . Nous pouvons relire cette histoire à la fin du livre Ben Sirac le Sage . Contrairement à ce que j’ai écrit à l’instant, il idéalise un peu les personnages, mais tu sais, avec le temps, on ne retient que les bons côtés des grands hommes ! A travers petitesses et grandeurs, l’Alliance culminera et deviendra éternelle en celui que Paul présentera comme La Descendance d’Abraham : le Christ .

    Je vais en rester là avec ma lettre, non que ton histoire soit finie, mais elle est tellement imbriquée dans la vie de celui à qui je me propose d’écrire dans quelque temps, Joseph, ton fils préféré ! Nous reparlerons de toi, de tes malheurs familiaux, de ton immense tristesse quand tu croyais ton fils mort et ta joie plus grande encore quand tu l’as retrouvé vivant.

    A bientôt, père Jacob !