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  • Lettre ouverte aux « prophètes écrivains » en général,

    et à Amos en particulier.

    Salut, « prophètes écrivains » !

    Avant de m’adresser à quelques uns d’entre vous, je tiens à vous saluer collectivement. En n’oubliant pas que la Bible hébraïque appelle « Prophètes premiers », les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, je m’attache plus spécialement à vous, que cette même Bible appelle « Prophètes derniers ». Je vous nomme dans l’ordre où vous apparaissez : Isaïe (ou Esaïe, suivant la transcription protestante), Jérémie, Ezéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie. Vous arrivez en second par rapport au Pentateuque, autrement dit la Torah, la Loi. Jésus, après sa résurrection, s’est appuyé sur la Loi et sur vous pour expliquer aux disciples d’Emmaüs tout ce qui le concernait.

    Qu’est-ce que le prophétisme ?

    Même si vous n’êtes pas des « prophètes professionnels », vous êtes les héritiers des prophètes dont j’ai parlé dans mes lettres précédentes : Nathan, Elie, Elisée. Trop souvent, on dit : « Un prophète, c’est quelqu’un qui annonce l’avenir ». Non ! Vous êtes des envoyés de Dieu, des gens qui parlent au nom de Dieu, pour dénoncer le mal dans le peuple dans telle circonstance, appeler à la conversion et annoncer la miséricorde de Dieu. Cette « écriture prophétique » durera du VIII° siècle jusque vers 300 av. J.C. on peut dire que vous êtes des hommes de temps de crise. Vous êtes souvent des visionnaires et votre langage parfois nous déroute, les violences de vos propos nous rebute. Mais vos paroles fortes nourrissent encore aujourd’hui la foi des croyants, qu’ils soient Israélites ou Chrétiens.

    Salut, Amos le Terrible !

    Amos, qui es-tu ?

    Je m’adresse à toi d’abord, Amos ; d’après ce qui est dit au début du livre qui rapporte tes paroles, tu as vécu vers le milieu de ce VIII° siècle. Tu es sans doute un peu plus âgé que ton collègue Osée. Je te laisse te présenter toi-même : (Am [ livre d’Amos ] 7, 14-15)) « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier, je traitais les sycomores ; mais le Seigneur m’a pris de derrière le bétail et le Seigneur m’a dit : ‘Va ! prophétise à Israël mon peuple.’ » Tu es originaire du royaume du sud, d’un petit village près de Bethléem appelé Téqoa (Am 1, 1) A l’appel de Dieu, tu n’hésites pas à aller affronter les gens du nord.

    Conflit avec les gens en place

    On ne peut pas dire que tu sois reçu à bras ouverts. Ton opposant principal est un prêtre de Bethel. Il t’accuse de conspirer contre le roi et te fait expulser (Am 7, 10). Toi, tu n’as rien ni contre l’institution royale, ni contre l’institution religieuse. Ce que tu refuses, c’est la soumission (on parlerait maintenant d’instrumentalisation) du religieux au politique. Pour résumer, tu refuses que Bethel, la « maison de Dieu », deviennes la « maison du roi ». Pas de confusion ! On aimerait bien que, en certains coins de notre planète, ta parole soie entendue !

    Le plan de ton livre

    Tu commences par énoncer des oracles (des paroles prononcées au nom du Seigneur), tous azimuts, contre les pays voisins (Am 1, 3-2, 16) : Damas au nord, Gaza et les Philistins, Tyr et les Phéniciens à l’ouest, Edom au sud, Ammon et Moab à l’est. Tu leur reproches des crimes de guerre, des déportations, de l’esclavage. Puis vient le tour de Juda : il n’a pas suivi l’enseignement du Seigneur. Quant à Israël, tu l’attaques plus vigoureusement et plus longuement encore (tu es envoyé pour cela) : il est condamné à cause des injustices sociales. Ce sera même le thème de quatre chapitres (Am 3 à 6).

    Puis viennent les visions (Am 7,1 à 9, 10) : les sauterelles ravageuses, le feu qui détruit tout, l’étain pour les armes meurtrières, la fin de l’été qui annonce la fin du royaume et enfin, l’ébranlement du sanctuaire. Un rédacteur tardif ajoutera tout à la fin de ton livre une lueur d’espoir dans le tableau très sombre que tu traces pour l’avenir.

    L’injustice sociale : un affront à Dieu

    Tu n’as pas de mots assez durs pour dénoncer le luxe des maisons des riches, pour dénoncer l’exploitation des pauvres : « Ecoutez cette parole, vaches du Bashan [c’est ainsi que tu qualifie les femmes qui vivent dans le luxe], qui paissez sur la montagne de Samarie, exploitant les indigents, broyant les pauvres… Le Seigneur le jure par sa sainteté : Oui, voici venir des jours où l’on vous enlèvera avec des crocs et vos suivantes avec des harpons… » (Am 4, 1-2) ou encore (Am 8, 4-8) la diatribe contre les marchands qui « faussent les balances menteuses, achètent des indigents pour de l’argent et un pauvre pour une paire de sandales ». Dans ce contexte de violence et d’injustice, au nom de Dieu tu récuses le culte qui lui est rendu (Am 5, 21-27) : Je déteste, je méprise vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements quand vous faites monter vers moi vos holocaustes…Mais que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable… »

    Tu annonces la fin du royaume du nord

    Ton message après cela : ce peuple qu’il a chéri en le faisant monter d’Egypte, Dieu va le rejeter. Samarie tombera en 722. Même s’il y a conversion, la miséricorde de Dieu reste hypothétique (Am 5, 15). Alors, prophète de malheur ? Sans doute, si on en reste à tes seuls écrits. Mais tes collègues après toi apporteront des correctifs et ils laisseront plus de place à l’espérance.

    Je vis au XXI° siècle, 2800 ans après toi. J’aurais envie de te demander, en terminant cette lettre, de revenir dans notre monde, pour dénoncer avec la même vigueur les exploitations et les injustices grandissantes au niveau planétaire. Se lèvera-t-il, un jour, un prophète comme toi pour nous ouvrir les yeux, pour proclamer, comme le fera plus tard Isaïe (Is [livre d’Isaïe] 58, 6-7) : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté …partager ton pain avec l’affamé, héberger les pauvres sans abri… »


    Note pour une meilleure compréhension de la Bible.

    Il n’est pas absolument nécessaire de connaître dans le détail l’histoire du peuple d’Israël pour recevoir le message de la Bible. Cependant certains points de repère aident à mieux comprendre. Ainsi, il est intéressant de savoir que le royaume d’Israël et celui de Juda étaient deux minuscules états coincés entre les deux géants de l’époque, l’Egypte au sud ouest et l’Assyrie au nord est. La venue d’Amos dans le royaume du nord coïncide avec une période de prospérité et d’agrandissement du territoire (Am 6, 13). Mais cela ne va pas durer. Samarie sera prise et le royaume anéanti en 722. Le prophète et ceux qui ont repris ses paroles interprètent cette catastrophe comme une punition de Dieu, Dieu étant vu comme agissant directement sur le cours des événements. Sans perdre de vue que, pour le croyant de la Bible, Dieu n’est pas une idée philosophique, mais qu’il se révèle dans une histoire, Il faudra du temps pour admettre, l’autonomie des réalités humaines, de leur histoire. Est-ce forcer les textes que de trouver l’origine de cette manière de voir les relations entre l’humanité et Dieu dans la parole de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » ?

    Joseph CHESSERON