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  • Ce récit évoque le personnage de Joseph
    et les raisons qui l’ont conduit à accueillir Marie et l‘enfant qu’elle attend.

    « L’application de la loi serait un désastre pour l’enfant a naitre »

    Youssef était penché sur son ouvrage. Les copeaux de bois s’accumulaient à ses pieds. Il ponçait, rabotait jusqu’à ce que le bois soit lisse à l’œil et doux au toucher. Il déposait les pièces selon l’avancement de son travail le long du mur de son atelier qui était aussi la pièce la plus grande de son logis. Son travail servait le plus souvent à la construction des charpentes qui soutenaient les terrasses des maisons, les linteaux des portes. Il arrivait aussi parfois qu’on lui commande des poteaux qui étaient utilisés par l’occupant romain à de bien tristes besognes, mais Youssef savait qu’Hérode ne plaisantait pas avec qui aurait osé contrevenir à ses ordres.

    Mais pour l’heure, Youssef était heureux. L’odeur fraîche du bois emplissait la pièce. Il fredonnait doucement au rythme du rabot. Sa pensée s’envolait vers sa bien-aimée Myriam. Il voyait son visage paisible et sérieux. Quand elle souriait, toute la lumière entrait avec elle. Leur union totale d’époux approchait et ensemble, ils comptaient les jours qui restaient pour préparer la fête. Leur fête. Car même s’ils étaient mari et femme, ils n’habitaient pas encore la même demeure. Ainsi était la loi qui faisait d’un homme et d’une femme des époux légaux sans cohabitation immédiate.

    Entre crainte et confiance
    Justement, alors qu’il souriait à ses pensées heureuses, Myriam entra dans l’atelier. Il fut tout de suite surpris par la gravité de son visage. D’habitude, ses yeux pleins de tendresse rencontraient son regard et leur communication était immédiate et joyeuse sans nécessiter de paroles.

    Youssef posa l’outil qu’il avait en main et s’approcha d’elle. Elle se tenait droite et silencieuse, les yeux baissés. Elle leva la tête lentement.
    En chemin, elle avait tourné et retourné ce qu’elle avait à lui apprendre. Comment allait-il réagir ? Elle avançait entre crainte et confiance. Crainte parce que tout homme pouvait entendre la nouvelle qu’elle avait à dire en étant pour le moins méfiant. Car la jeune femme ne vivant pas encore avec son mari, elle pouvait faire toutes sortes de mauvaises rencontres ou lui être infidèle. Tout homme pouvait alors soupçonner son épouse et s’estimer ainsi déshonoré,

    Mais elle avançait aussi avec confiance, car elle connaissait son Youssef. Elle savait qu’il avait pour elle assez d’amour pour vivre avec elle tous les tremblements de terre que la terre pouvait engendrer. Et il s’agissait bien de cela au regard de la société dans laquelle ils vivaient.

    Alors elle dit ce qu’elle avait à dire, sans hésiter. Elle était enceinte. Combien de femmes avant elle avaient dit cela à leur époux ? Mais voilà, leur mode de vie actuel changeait pour eux cet événement heureux en préjudice aux yeux de la Loi.

    Youssef la regardait sans comprendre. Bien que n’habitant pas encore la même demeure, leur amour vibrait d’un très grand soleil. En recueillaient-ils le fruit ? Ou bien avait-elle subi l’un de ses soldats romains qui avaient vite fait d’ignorer la dignité des filles qu’ils estimaient leur propriété en pays conquis ? Sa fiancée avait-elle été souillée ?
    Il choisit pourtant de l’écouter. Car elle semblait habitée par une certitude. L’enfant qui vivait en elle avait un avenir au-delà du monde. Il avait été conçu dans son sein, pour sauver Israël, Il allait ouvrir une voie nouvelle. Elle en avait l’assurance, car au fond d’elle-même la voix du Seigneur s’était fait entendre. Elle voulait seulement que son fiancé entende cette nouvelle stupéfiante. Elle était habitée par une promesse. Elle en acceptait humblement les conséquences.

    Youssef réfléchit à la loi juive qui réglait les comportements de tous dans la communauté. Les textes l’autorisaient à répudier une épouse infidèle afin de ne pas se compromettre lui même et se rendre impur. Car répudier son épouse dans ce cas servait à protéger le mari des commérages qui ne manqueraient pas. Il pouvait donc choisir de la renvoyer secrètement.

    Mais dans ce cas, elle risquait gros quand la communauté s’apercevrait de son état. Elle pouvait payer cela de sa vie et de celle de son enfant.
    Youssef songeait aussi qu’appliquer la loi à la lettre serait un désastre pour cet enfant à naître et aussi pour Israël. Car selon les dires de Myriam, cet enfant ne devait-il pas jouer un rôle décisif pour le peuple juif et même au-delà ?

    Youssef, la nuit qui suivit, eut bien du mal à trouver le sommeil. Il finit toutefois par s’endormir et fit un rêve. L’ange du Seigneur lui apparut. Non, il ne devait pas chasser Myriam. L’enfant qu’elle portail était oint de l’esprit. Cet enfant avait une place voulue par Dieu et Myriam l’avait accepté avec totale confiance. Elle s’était déclarée la servante du Seigneur. Et 1ui, Youssef pouvait sans crainte prendre chez lui la mère et l’enfant. Ils pouvaient vivre sous le même toit, sans avoir à encourir l’opprobre de quiconque.

    Youssef décida donc, à partir de ce jour, d’accueillir Myriam dans sa maison. Il allait lui aussi, accepter cette situation imprévue qui précipitait ses projets. II était touché au plus profond de lui par cette annonce étonnante dite par l’ange au cours de son rêve : « L’enfant qu’elle a conçu vient de l’Esprit saint ».

    Il songea aux architectes qui conçoivent des projets mis en œuvre par les artisans maçons. Il sourit en pensant que son action pleine d’amour auprès de son épouse concrétisait la conception divine. Il se sentit plein de tendresse pour ce petit qu’il allait élever, faire grandir auprès de sa mère afin qu’il soit pleinement homme, capable de suivre et d’accomplir le projet divin.

    Le lendemain, Il fit part de sa décision à Myriam. Elle, de son côté, n’avait plus aucune crainte. Elle bénissait le Seigneur et chantait ses louanges. Elle vivait dans une joie tranquille, confiante en Youssef, confiante en la promesse qui vivait en elle, confiante en Celui qui tenait le monde entre ses mains.

    À partir de ce jour, les deux époux regardèrent l’avenir dans une attente sereine.

    Quand l’enfant vint au monde, ils le nommèrent suivant ce que l’ange avait indiqué. Ce nom signifiait « Sauver, délivrer ». Et en vérité, ils avaient conscience d’avoir été les instruments d’une délivrance qui allait s’accomplir pour tous ceux qui entendraient le message que portait cette naissance.

    Ils avaient eu raison d’écouter une autre voix que celle imposée par la Tradition. Ils avaient été guidés par une voix intime, forte. Une voix qui disait la bienveillance divine dont pouvaient bénéficier tous les humains.
    II ne s’agissait pas de rester conforme à une habitude sociale dont 1es conséquences étaient inhumaines. Il s’agissait de préserver la vie. La vie qu’ensemble, ils avaient choisie. Une vie précieuse entre toutes les vies. Une vie ointe par le Seigneur.

    Et c’était un humble charpentier qui rendait tout cela possible. Lui homme avait su se libérer d’une tradition rigide pour oser penser dans une liberté bienveillante telle que Dieu l’y invitait.

    Une vie imprévue, imprévisible et essentielle s’ouvrait devant eux. Ils ignoraient quel serait l’à-venir. Mais ils marchaient désormais dans la confiance.

    Nadine Mignot
    conteuse biblique

    Dans « Réforme » N° 3682 24 novembre 2016