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  • Homélie de la fête de la Toussaint 2021 - p.Julien Dupont

    Toussaint 2021

    Après la révélation des violences sexuelles et abus commis sur les mineurs dans l’Église, il est impossible de célébrer la Toussaint sans chercher à croire et comprendre ce que signifie l’affirmation de foi en la « sainte » Église que nous sommes. Permettez-moi donc de redonner quelques éléments théologiques qui éclairent cette affirmation et le sens de cette solennité liturgique.

    D’abord, et avant toute chose, rappelons que Dieu seul est saint. Et c’est parce qu’il se donne à nous, par le Fils et dans l’Esprit, que nous sommes sanctifiés. Autrement dit, il faut redire que la sainteté n’est pas le résultat d’une somme de bonnes actions décidées par les baptisés que nous sommes. La sainteté, c’est un don de Dieu qui seul est saint. Un don qu’il fait à tous, avec une seule condition : le laisser agir dans nos vies.

    Ainsi compris, la sainteté est une école où le combat spirituel entre le bien et le mal est premier. Voilà pourquoi, en introduisant l’Évangile de ce jour, le verset alléluiatique indique : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28). Vous tous qui peinez… Oui chers amis, ne confondons pas sainteté et perfection. Pour beaucoup, pour être saint, il faudrait être parfait, sans défaillances, sans péchés. Or, une telle conception de la sainteté est très caractéristique de notre temps, où la vulnérabilité n’a plus court. Il faut tout réussir, tout de suite… Être, simultanément, une parfaite mère de famille, une parfaite épouse et surtout avancer dans sa carrière ! Non, la vie chrétienne nous invite au combat. Tous les saints en sont d’authentiques témoins : « Ceux-là viennent de la grande épreuve – avons-nous entendu au livre de l’Apocalypse – ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau » (Ap 7, 14).

    Gardons-nous donc de célébrer cette solennité autrement qu’en espérant que Dieu puisse illuminer nos vies de pécheurs, nous soutenir dans le juste combat spirituel. Dans l’office des Lectures de ce jour, Saint Bernard insiste pour nous présenter ce visage de Dieu : « Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu’il s’est fait pour nous : [… la Tête] ceinte par les épines de nos péchés. (…) Viendra le jour de l’avènement du Christ : alors (…) la Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elle les membres resplendiront de gloire ». Oui, sœurs et frères, nous sommes dans cet « entre-deux ». Déjà, depuis le baptême, Dieu nous fait grâce. Mais ce que nous sommes n’est pas encore pleinement révélé.

    D’ailleurs, « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » avons-nous entendu dans l’extrait de la première lettre de Jean (1 Jn 3, 2). La sainteté n’est pas pour maintenant, mais peut tout de même se révéler dès à présent, dans les actes les plus ordinaires que le catéchisme nomme les œuvres de miséricorde : donner à manger aux affamés, vêtir ceux qui sont nus, assister les malades, ensevelir les morts, etc. Agir ainsi, ce n’est pas pour avoir des « bons points », mais saisir que nous pouvons être image et ressemblance de Dieu, dès à présent.

    Toutefois, nous restons marqués par le péché. Voilà pourquoi les théologiens insistent en rappelant que l’Église est « ornée d’une vraie sainteté, cependant « imparfaite » pour l’heure » (Cf. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, Mémoire et réconciliation : l’Église et les fautes du passé ; 2000). La « sainteté si peu sainte de l’Église – selon l’expression de Joseph RATZINGER (in La foi chrétienne hier et aujourd’hui ; 1996) – a quelque chose d’infiniment consolant. (…) Qui oserait prétendre n’avoir pas besoin d’être supporté par d’autres, d’être porté par eux ? (…) La sainteté de l’Église consiste d’abord à supporter, pour ensuite porter  ». Cette expression est étroitement liée à celle du deuxième concile du Vatican dans son appel universel à la sainteté : « dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence » (Lumen Gentium, § 40).

    Se supporter, promouvoir plus d’humanité… Ces expressions sont là pour redire qu’il nous faut reconnaître, dans nos vies si cabossées, que Dieu seul peut les redresser. Sainte Église de pécheurs appelés au pardon. Ne retenons pas qu’une partie du credo. Si nous affirmons que nous croyons en la sainte Église, nous disons dans la foulée : « je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés ». Oui, c’est le baptême qui marque l’entrée dans une autre manière de vivre et d’être au monde. C’est le baptême qui peut conduire à la sainteté. Non pas celle de héros, mais d’humains façonnés dans l’argile, et insufflés par Dieu lui-même, pour porter au monde le trésor de l’Évangile.
    Vulnérables, nous le sommes. Victorieux, nous le serons. Pécheurs, nous le sommes. Saints, nous le serons. Amen.

    P. Julien DUPONT

    Homélie de la fête de la Toussaint 2021 - p.Julien Dupont